« Nous demandons un accès digne à une alimentation durable et de qualité »

Le Secours Catholique-Caritas France a évolué sur la réponse à donner à la précarité alimentaire. Explication de Laurent Seux, responsable du programme « Ensemble, bien vivre, bien manger ».
Que représente l’aide alimentaire dans l’action du Secours Catholique ?
Depuis de nombreuses années, et particulièrement depuis 2014, notre positionnement est surtout orienté vers « un accès digne de toutes et tous à une alimentation durable et de qualité ». Si bien que l’aide alimentaire, telle qu’elle est pratiquée aux Restos du Cœur ou à la Croix-Rouge, est une activité tout à fait résiduelle au Secours Catholique. Aujourd’hui, le cœur de notre activité dans ce domaine consiste en une aide financière apportée aux personnes pour qu’elles puissent aller faire leurs courses, et en différents projets : épiceries sociales et solidaires, jardins partagés, et les groupements d’achats pour des paniers frais solidaires, mais aussi ateliers cuisine ou restaurants solidaires. Le Secours Catholique a fait partie des créateurs de la première banque alimentaire en 1984, mais il a fait le choix de ne pas intégrer la Fédération des banques alimentaires en 1987, estimant que l’utilisation des surplus européens de denrées alimentaires n’était pas une solution pour répondre au défi de la précarité alimentaire.
Comment votre positionnement sur la question a-t-il évolué ?
Depuis les années 1990, le Secours Catholique a choisi de travailler de manière plus participative avec les personnes qu’il aide. En 2014, nous avons défini avec elles les critères d’un meilleur accès à l’alimentation : la liberté de choix des produits, des projets élaborés de manière participative et collaborative, des partenaires ancrés dans un territoire, des structures ouvertes à toutes et tous, pour être considérés « comme tout le monde », et un accès à une alimentation de qualité.
Pourquoi vous démarquez-vous de l’aide alimentaire telle qu’elle est couramment proposée ?
Les denrées fournies sont d’une qualité nutritionnelle et gustative aléatoire, ce qui a été corroboré par un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de 2019 qui a fait date. Nous avions été auditionnés pour cela, témoignant que cela aggravait à nos yeux le sentiment de honte que ressentent déjà les personnes aidées. De plus, on connaît les effets sur la santé d’une mauvaise alimentation. Les personnes en situation de précarité sont ainsi victimes deux fois : elles sont les plus exposées au diabète, aux maladies cardiovasculaires ou à l’obésité. D’autre part, la plupart des produits des banques alimentaires viennent du surplus de la grande distribution, et donc d’un modèle agroalimentaire productiviste assez discutable du point de vue social et environnemental. C’est aussi tout ce système que nous refusons d’encourager.
Quel impact a eu cette évolution sur le terrain ?
Nous avons une forme d’organisation assez décentralisée, permettant à nos antennes de tenir compte des réalités du terrain, et de s’allier avec des partenaires locaux, en faisant vivre les petits producteurs. Plusieurs groupements d’achat ont été créés pendant la période Covid. Pour les personnes que nous aidons comme pour les bénévoles, c’est aussi plus agréable : ils connaissent les agriculteurs. C’est autre chose que de recevoir des palettes ! Nous avons de bons échos des opérations de paniers frais. Des personnes nous disent : « Je croyais que ce genre d’aliments ne pouvait pas être pour moi. »
Vous mettez aussi l’accent sur la dimension sociale de l’aide alimentaire…
Oui, comme à la SSVP, nous encourageons les tablées et les repas partagés. Ce n’est pas toujours facile : je me souviens de ce projet baptisé « le pain partagé ». Les bénévoles servaient les personnes en précarité et prenaient leur repas après leur départ. Réfléchissant ensemble au sens du mot « partage » je les ai invités à déjeuner tous ensemble. Beaucoup de personnes que nous accompagnons nous disent aussi combien elles aimeraient être associées à l’organisation des repas, en préparant les tables, etc. Prendre au sérieux la fraternité nécessite un petit changement de regard de la part de chacun, mais cela les rend souvent heureuses, elles qui souffrent d’être rendues inactives par leur situation. Pour nous, chrétiens, cette dimension sociale a aussi une valeur spirituelle forte. Nous qui nous représentons le Royaume de Dieu comme un festin, et pour qui l’Eucharistie est un repas, comment nous laissons-nous interpeller par cela ? Comment faisons-nous pour traduire cela par des formes qui rappellent cette réalité à laquelle nous aspirons ? Quand on vit la rencontre avec des personnes en précarité, on vit quelque chose de cet ordre.