Angelina, une jeune fille du monde

Prin­temps 2024, Paris. Un parfum d’Ukraine flotte dans les bureaux de la Société de Saint-Vincent-de-Paul : des choco­lats arrivent de Kiev, la capi­tale (les Ukrai­niens écrivent Kyiv). Offerts par Ange­lina Surz­hyk, en stage dans l’équipe commu­ni­ca­tion du Conseil natio­nal de France (CNF). « Un envoi de mon papa  » confie-t-elle, heureuse de parta­ger ces frian­dises de son pays natal. Et pour­tant, là-bas, les moments de douceur sont rares. Depuis le 24 février 2022, le pays subit les attaques du voisin, la Russie.

Ange­lina raconte, presque minute par minute : « Ce matin-là, à Kyiv, j’ai été réveillée vers 5h par des explo­sions. J’ai compris plus tard que c’était notre système anti-missile. » En quelques heures, tout change dans la vie de cette jeune fille de 16 ans. Passion­née de théâtre et de musique, elle doit, comme ses parents, Olek­san­der et Tetiana, boucler une valise et partir vers l’Ouest. Une fuite en voiture jusqu’à Oujho­rod, le long de la fron­tière slovaque. Là, dans une maison prêtée par des amis, la famille partage le quoti­dien d’autres réfu­giés. Dans le monde d’avant, Ange­lina avait incarné Anne Frank, lors d’un festi­val de théâtre. « C’est ironique quand on y pense » dit-elle en narrant ces semaines de vie commune avec des incon­nus, dignes de figu­rer dans le Jour­nal d’Anne. 

Quit­ter l’Ukraine

Elle déroule son récit et sourit. Car Ange­lina sourit quoi qu’il arrive, même quand le ciel est gris, même quand le RER est en retard, même quand elle raconte sa ville natale sous les bombes. « Sourire, c’est sa force », note une béné­vole qui la connaît bien : Gene­viève Vilain-Lepage, à Niort (Deux-Sèvres). « Ange­lina trans­pire la gentillesse. Quand tu n’es pas bien en forme, tu oublies tout en la voyant.  » 

Gene­viève a rencon­tré Ange­lina dans les locaux de la Confé­rence  au prin­temps 2022. Avec sa maman, sa tante et sa cousine, elles venaient tout juste de quit­ter l’Ukraine, lais­sant les maris et pères derrière la fron­tière : depuis le début de la guerre, les hommes ne sont pas auto­ri­sés à quit­ter le pays.

Vivre en France

À Niort, une autre vie commence. Des incon­nus se mobi­lisent pour les aider, dont des Vincen­tiens. Gene­viève et son équipe orga­nisent un accueil spéci­fique. « Elles arri­vaient d’un pays en guerre, elles n’avaient pas l’ha­bi­tude de fréquen­ter l’aide alimen­taire.  » Seule à parler français, Ange­lina fait le lien puis s’ins­crit au lycée. « J’ai passé mes deux bacs (français et géné­ral), avec mention très bien ! » souligne-t-elle. En même temps, Ange­lina pour­suit ses cours à distance au lycée de Kiev. 

Une fois les examens termi­nés, à l’été 2023, Ange­lina et sa cousine ont un peu de temps libre. « Elles auraient pu aller se prome­ner. Elles sont venues me voir », se souvient Gene­viève. Les deux accueillies deviennent béné­voles. « Ange­lina a dit : « Vous nous avez aidées, c’est à mon tour. » » 

Au vestiaire, la jeune fille donne libre cours à sa passion pour la mode en orga­ni­sant les rayons et en bavar­dant avec une béné­vole plus âgée. Elle parti­cipe aussi à la distri­bu­tion alimen­taire. Et raconte régu­liè­re­ment à Olek­san­der ce qu’elle fait avec cette asso­cia­tion « formi­dable ! On ne peut pas voir le monde de façon néga­tive avec de tels exemples.  » 

Décou­vrir Paris 

Comme n’im­porte quelle étudiante, Ange­lina fait sa rentrée. Pour elle, direc­tion l’Es­sec à Paris en septembre 2023, dans une filière commu­ni­ca­tion/marke­ting. Elle cherche un stage, mais garde en tête l’idée de pour­suivre son bout de chemin avec la Société de Saint-Vincent-de-Paul. « Ce serait plus person­nel qu’un stage dans une entre­prise clas­sique. » 

Gene­viève donne un petit coup de pouce, et, un CV et un entre­tien plus tard, Ange­lina entre dans le bureau du service commu­ni­ca­tion du Conseil natio­nal de France. « J’étais un peu nerveuse, c’est mon premier stage en France. Mais les gens sont très accueillants. » Enthou­siaste, l’équipe l’em­barque déjeu­ner au fast-food du coin. Ange­lina prend ses marques, travaille en binôme avec Cami­lia Muhied­dine, une autre stagiaire, et découvre la vie de bureau à la française. Ange­lina se fait à la vie pari­sienne, échan­geant les bons plans mode et parta­geant des clichés de la ville lumière sur ses réseaux sociaux car c’est une jeune fille connec­tée au monde en temps réel. Mais son smart­phone n’a rien d’un gadget. Il fait aussi le lien entre Paris et Kiev. Entre deux villes, deux vies, deux mondes.  

Valé­rie-Anne Maitre,
rédac­trice en chef adjointe

Geneviève Vilain-Lepage, avec les bénévoles de Niort, a accueilli Angelina et sa famille.

EN SAVOIR +

Depuis le début de la guerre, de nombreuses Confé­rences ont accueilli des familles ukrai­niennes : à Niort mais aussi à Angers ou Toulon. Aujour­d’hui encore, l’ac­com­pa­gne­ment se pour­suit. En avril 2022, Jean-Charles Mayer, direc­teur de la commu­ni­ca­tion, et Pierre-Emma­nuel avaient convoyé de l’aide aux réfu­giés, via Les Filles de la Charité, jusqu’à la fron­tière polo­naise. (lire Ozanam n° 248)