Je donne ce que j’ai reçu : la fraternité

Du Vene­zuela à Stras­bourg (Bas‑­Rhin), Cami­lio a eu mille vies. Aujour­d’hui, cet univer­si­taire, amou­reux de la liberté et cher­cheur de vérité, se met au service des plus fragiles que lui.

« Combien cours-tu sur une minute ? As-tu déjà couru un mara­thon ? » Ce matin, c’est l’in­ter­viewé qui pose d’abord les ques­tions aux inter­vie­weurs. Cami­lio, passionné de sport et de course en parti­cu­lier, s’in­té­resse aux perfor­mances de ses inter­lo­cu­teurs. Car lui veille avec soin à se main­te­nir en forme. « J’ai fait de la boxe, couru des mara­thons… Je suis né dans un pays où il faut marcher vite », ajoute-t-il dans un sourire. Derrière la mous­tache fine et malgré sa parfaite maîtrise du français, son accent sud-améri­cain rappelle ses origines : le Vene­zuela où il est né, il y a 78 ans.

À l’écoute du monde

Cami­lio a eu mille vies qu’il prend le temps de racon­ter, installé dans le local de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, à Schil­ti­gheim (Bas-Rhin). En face de lui, Yajaira, son épouse, l’écoute dérou­ler le fil d’une exis­tence riche intel­lec­tuel­le­ment et sans cesse à l’écoute du monde qui l’en­toure.

Diplômé en tech­niques indus­trielles, Cami­lio a compris depuis son plus jeune âge que l’élé­va­tion des indi­vi­dus passait par l’édu­ca­tion. Il a étudié les sciences de l’en­sei­gne­ment avant de deve­nir cher­cheur et de décro­cher un docto­rat à Mont­réal (Canada) sur l’éthique de la respon­sa­bi­lité et les fonde­ments de l’édu­ca­tion. Confor­tant ses certi­tudes par la lecture de nombreux philo­sophes, Cami­lio est lui-même auteur d’ar­ticles et d’es­sais sur ces sujets qui le passionnent. Paral­lè­le­ment, cet univer­si­taire engagé garde un esprit critique sur la poli­tique et l’au­to­ri­ta­risme de l’État véné­zué­lien. « Je ne connais pas de mili­taire poète ! » assène-t-il. Un jour, c’en est trop, l’amour de la liberté le pousse à quit­ter son pays. Desti­na­tion : la France, car, souligne-t-il : « C’est le pays des droits de l’Homme.  »

Et au service des autres

En 2022, il arrive à Stras­bourg (Bas-Rhin), avec Yajaira, pour retrou­ver leur fille, docteur en biolo­gie et cher­cheuse. Une nouvelle étape dans leur vie, qui passe par l’église de leur quar­tier : Saint-Aloys dans le Neudorf. Lors d’une messe, ils sont marqués par la présence d’une femme aux cheveux blancs qui « marche partout et qui dit qu’elle a besoin de béné­voles ». Cette femme, c’est Anne Vetter, la prési­dente de l’équipe locale (Confé­rence) Saint-Aloys. Son éner­gie éveille en eux une envie de se mettre au service de leur prochain. Le couple découvre la Société de Saint-Vincent-de-Paul ; il ne leur faut pas long­temps pour faire partie de l’équipe d’Anne. Chaque jeudi, ils aident à déchar­ger les palettes de denrées alimen­taires livrées à la plate­forme logis­tique desser­vant trois paroisses du quar­tier. Cami­lio s’in­ves­tit aussi dans les visites en EHPAD, jusqu’à en deve­nir l’au­mô­nier et aider à l’or­ga­ni­sa­tion des messes dans un service pour malades d’Alz­hei­mer.

« Cami­lio est lumi­neux, confie Anne. Avec Yajaira, ils apportent du soleil dans l’équipe ! » Il lui faudra beau­coup de tact et près d’un an pour comprendre que le couple passe sous silence certaines diffi­cul­tés, en parti­cu­lier admi­nis­tra­tives. « Parfois c’est lourd à porter, recon­naît Anne. Je les ai confiés à la prière des autres béné­voles de l’équipe. » Un accom­pa­gne­ment est mis en place, le couple a pu béné­fi­cier d’une aide maté­rielle mais il préfère rester discret sur ce qu’il vit. « Malgré notre situa­tion angois­sante, insiste Cami­lio, on doit aider les gens, donner quelque chose.  »

Une renais­sance spiri­tuelle

Pour lui, l’in­tel­lec­tuel prag­ma­tique, pétri de vérité scien­ti­fique, la rencontre avec la Société de Saint-Vincent-de-Paul corres­pond aussi à une renais­sance spiri­tuelle, pour la plus grande joie de Yajaira, très croyante. Cami­lio cite saint Paul « un persé­cu­teur qui devient apôtre et fait du chris­tia­nisme pratique ». Il ajoute : « J’ai été marqué par l’in­té­grité de Frédé­ric Ozanam. » Comme lui, Cami­lio choi­sit de mettre la charité en actes. « Souvent, les malades ne me recon­naissent pas, c’est une vérité scien­ti­fique. Mais, je ne juge pas, je pour­rais être à leur place. Je donne ce que j’ai reçu : la frater­nité. » Il ajoute « Le béné­vo­lat chré­tien d’aujour­d’hui est une démarche mission­naire qui conduit à la renais­sance. »

Il y a quelque temps, Cami­lio a publié un livre sur la soli­tude du mara­tho­nien, « au 36e km  » précise-t-il. Aujour­d’hui, qu’il marche ou qu’il coure, Cami­lio n’est pas seul. Sur sa route, il a trouvé une équipe pour se mettre au service des autres.