Aide alimentaire : accompagner pour nourrir les âmes

La précarité alimentaire enregistre une forte hausse. De nombreuses associations engagées dans l’aide alimentaire atteignent leurs limites et, plus que jamais, bénévoles et travailleurs sociaux s'interrogent : comment accompagner au mieux ceux qui manquent de pain, mais aussi souvent de relations sociales, de reconnaissance et de perspectives ?

Ce sont des étudiants qui forment des queues inter­mi­nables à proxi­mité des foyers où l’as­so­cia­tion Linkee leur offre des denrées fraîches et des produits d’épi­ce­rie en Île-de-France, à Lyon ou encore Mont­pel­lier ; des mères céli­ba­taires recom­man­dées par une assis­tante sociale auprès d’une épice­rie soli­daire depuis que l’in­fla­tion ne leur permet plus de remplir suffi­sam­ment leur caddie ; ou encore des seniors isolés par l’âge et la préca­rité, qui ne s’ali­men­te­raient pas si des béné­voles ne venaient pas leur appor­ter régu­liè­re­ment un panier… 
En France, l’ur­gence alimen­taire a de multiples visages, mais tous les acteurs de la soli­da­rité le remarquent : celle-ci n’a cessé d’aug­men­ter, à la faveur de la crise du Covid, puis de l’in­fla­tion galo­pante des derniers mois.

La préca­rité a de multiples visages

Une personne sur six ne mange pas à sa faim dans notre pays, révèle une étude du Credoc en mai dernier. Et 77 % des étudiants inter­ro­gés pour l’étude annuelle de Linkee en 2023 affirment avoir un reste à vivre de 100 euros par mois (3,33 euros par jour). Depuis l’in­fla­tion, un étudiant sur deux a recours à des colis alimen­taires. Ces personnes paient leur préca­rité au prix fort, leurs diffi­cul­tés alimen­taires étant souvent asso­ciées à des problé­ma­tiques de santé, de loge­ment et de soli­tude.

Les asso­cia­tions sont à la peine. Et pas seule­ment les Restos du Cœur, qui se sont décla­rés début septembre au bord de la faillite, n’ar­ri­vant plus à faire face à l’af­fluence record : 22 % de béné­fi­ciaires supplé­men­taires par rapport à 2022.
À la Société de Saint-Vincent-de-Paul (SSVP), 6 200 tonnes de nour­ri­ture ont été distri­buées en 2022 (L’Es­sen­tiel 2022). « En l’es­pace de dix ans, la demande a énor­mé­ment augmenté, remarque Hugues de Rosa­mel, président du Conseil dépar­te­men­tal de la SSVP dans le Calva­dos. « Chez nous, beau­coup de migrants en stand-by sont venus s’ajou­ter à la popu­la­tion de nos quar­tiers. » Pres­sées par le temps, prises par une logis­tique impor­tante, « beau­coup de Confé­rences ont du mal à faire ce pour quoi elles sont faites, à savoir la rela­tion à l’autre  », déplore-t-il. Dans certaines d’entre elles, on s’in­ter­roge sur le sens de ces distri­bu­tions.

Entrer en rela­tion avec les personnes

Pour Benoit Royal, béné­vole à Nantes et membre de la commis­sion spiri­tua­lité de la SSVP, il n’est pas ques­tion de remettre en cause le bien-fondé de l’aide alimen­taire : « Celle-ci est une des formes de charité assez fonda­men­tales de notre asso­cia­tion. Saint Vincent de Paul
lui-même recom­man­dait de « nour­rir les corps pour nour­rir les âmes ». Il s’était rendu compte à quel point la misère physique des paysans avait déclen­ché chez eux une misère spiri­tuelle. » Mais, dans la pers­pec­tive vincen­tienne, « on ne peut pas se satis­faire de livrer de la nour­ri­ture : l’aide alimen­taire devrait toujours être comprise comme un moyen d’en­trer en rela­tion avec les personnes. Elle ne doit pas être une fin en soi  ».

Parmi les struc­tures qui se sont empa­rées de la ques­tion, le Conseil dépar­te­men­tal de Marti­nique a lancé il y a deux ans un dispo­si­tif d’am­pleur pour accom­pa­gner les familles éligibles à l’aide alimen­taire. Réparti sur 10 d’entre elles et baptisé EMF – Émer­gence et Matu­rité des Familles –, il s’ap­puie sur son réseau de parte­naires insti­tu­tion­nels et asso­cia­tifs pour accom­pa­gner de près plusieurs dizaines de personnes à travers de nombreux ateliers : gestion du budget, estime de soi, ateliers culi­naires, forma­tions sur les droits sociaux mais aussi jardin partagé, sport, acti­vi­tés cultu­relles et groupe de paro­le… Conçu sur deux ans, le programme est exigeant – deux mati­nées par semaine – et vise la réin­ser­tion de la personne formée. La première « promo­tion » vient de termi­ner le cycle, avec 90 % de réus­site, et « une vraie frater­nité s’est créée entre les personnes  », se réjouit Régine Pognon, prési­dente du Conseil dépar­te­men­tal : « nous voulions sortir de l’as­sis­ta­nat, un écueil fréquent dans notre dépar­te­ment très pauvre, explique-t-elle. Les personnes peuvent parfois récu­pé­rer des colis d’as­so­cia­tion en asso­cia­tion, sans vrai suivi. Fina­le­ment, tout le monde s’es­souffle et elles ne sont toujours pas aidées ».

Person­na­li­ser l’ac­com­pa­gne­ment

Des projets d’une telle enver­gure ne sont pas toujours possibles à mettre en place. Mais nombreuses sont les struc­tures qui cherchent à allier aide alimen­taire et atten­tion plus appro­fon­die aux personnes. Au Relais Frémi­court (Asso­cia­tion spécia­li­sée de la SSVP) installé depuis 38 ans dans le 15e arron­dis­se­ment pari­sien, on soigne la person­na­li­sa­tion des paniers : « Pour chaque nouveau béné­fi­ciaire, nous notons la compo­si­tion de la famille et les préfé­rences ou contraintes alimen­taires  », expose Louis-Gildas Guit­ton, le président. Le suivi des paniers est aussi fait dans le temps, pour que les bouteilles d’huile ou les produits secs arrivent aux bonnes échéances, et pour varier les denrées, avec une insis­tance parti­cu­lière sur les fruits et légumes frais. « Certaines personnes sont surprises devant les aliments qu’elles reçoivent ; nous pouvons aussi les conseiller sur la manière de les cuisi­ner. » 

Chez Linkee, on prend soin de déstig­ma­ti­ser l’aide alimen­taire, alors que de nombreux étudiants assument diffi­ci­le­ment d’y avoir recours : « On passe de la musique sympa dans nos points de distri­bu­tion, et nos béné­voles accueillent les personnes avec le sourire, c’est très impor­tant pour nous », assure Eloi Péri­gnon, respon­sable de la commu­ni­ca­tion. L’as­so­cia­tion met un point d’hon­neur à assu­rer ses distri­bu­tions pendant les vacances, pour ne jamais « lâcher » ses béné­fi­ciaires, favo­rise la convi­via­lité, et invite régu­liè­re­ment des parte­naires spécia­listes de santé mentale ou autres ques­tions touchant son public.

Ancrer l’ac­tion dans la spiri­tua­lité

À Beau­champ (Val-d’Oise), où il préside la Confé­rence, Yves Darel ne cesse, lui aussi, de réflé­chir à la manière de mieux accom­pa­gner alors que l’af­fluence est forte à l’épi­ce­rie alimen­taire et que les béné­voles, travaillant à temps plein pour la plupart, ont peu de temps à donner : « Je sens qu’il va falloir du temps pour mieux y arri­ver », témoigne-t-il. Au-delà des impor­tants travaux qu’il a enga­gés pour rendre les locaux plus accueillants, il a tenu à relan­cer un temps spiri­tuel pour les béné­voles. « Je m’ap­puie beau­coup sur Frédé­ric Ozanam, dont les textes sociaux rejoignent faci­le­ment tous les béné­voles. Ces temps sont impor­tants pour recen­trer notre action sur ce qui fait notre ADN  », explique celui qui est aussi vice-président natio­nal de la SSVP. 

Ancrer leur action dans la spiri­tua­lité vincen­tienne, encore un moyen sûr pour les béné­voles d’orien­ter toute aide alimen­taire vers son objec­tif, « nour­rir les âmes ». 

Par Sophie Le Pivain, pigiste

L’aide alimentaire devrait toujours être comprise comme un moyen d’entrer en relation avec les personnes.

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