Au domicile de l’autre, se rencontrer soi-même

Si on la pratique de longue date à la Société de Saint-Vincent-de-Paul, la visite à domicile reste une expérience difficile à définir, du fait de la diversité des formes qu’elle prend et des trésors qu’elle recèle, pour la personne qui reçoit comme pour celle qui se déplace… dans tous les sens du terme !

Dossier par Meghann Marsotto, pigiste

Visites à l’hô­pi­tal, à l’EH­PAD, au domi­cile, de personnes âgées, isolées, handi­ca­pées, précai­res… à l’image du terri­toire (cita­din ou rural) dans lequel elles se pratiquent, elles sont aussi liées aux profils des béné­voles, qui ont des compé­tences, des savoirs et des goûts variés. Les uns font la conver­sa­tion, les autres la lecture, certains amènent leur enfant avec eux, d’autres jouent de la musique. Et puis il y a aussi des personnes qui se rendent au domi­cile pour propo­ser des services pratiques : aide à l’uti­li­sa­tion d’un ordi­na­teur, conduites aux rendez-vous médi­caux, accom­pa­gne­ment pour faire de petites cour­ses…
Avant de se lancer, il faut avoir conscience qu’au fil des situa­tions, l’on devra se rensei­gner, s’in­for­mer, affi­ner sa posture. La personne handi­ca­pée n’aura pas les mêmes besoins qu’une personne précaire, très malade ou simple­ment âgée. Pour certains, il faudra connaître les accès aux droits, pour d’autres, dispo­ser d’un bagage spiri­tuel solide, pour d’autres encore, se former aux effets rela­tion­nels de certains handi­caps, par exemple les handi­caps cogni­tifs (à la suite d’AVC, de problèmes d’épi­lep­sie, de mala­dies neuro-dégé­né­ra­ti­ves…), avec lesquels il convient, selon Sophie Alric, adjointe de direc­tion à l’AFTC (Asso­cia­tion de Familles de Trau­ma­tismes Crâniens) Bour­gogne – Franche-Comté, de « répé­ter plusieurs fois, dire les choses plus lente­ment, refor­mu­ler pour s’as­su­rer que le message passe, accep­ter le temps d’as­si­mi­la­tion quand on s’est exprimé, ne pas vouloir à tout prix remplir les silences, lais­ser le temps de formu­ler une répon­se… »

 « IL FAUT RESTER DISCRET »


Aller au domi­cile néces­site aussi de se confron­ter, sans émettre de juge­ment à ce qui, pour soi-même, pour­rait n’être pas conce­vable. « On peut être inter­rogé de la façon dont les gens s’or­ga­nisent, estime ainsi Chris­tiane Ecar­not, béné­vole au Secours catho­lique de Dole (39), mais il faut rester discret et se garder d’émettre des commen­taires. » « Quand j’entre chez une personne, abonde Régine Racine, respon­sable de la pasto­rale de la santé à Dole (39), c’est Moïse qui se déchausse au buis­son ardent. C’est sacré d’en­trer chez les gens. On arrive sur la pointe des pieds. » Selon Domi­nique Garnier, cadre supé­rieure de santé au Centre Hospi­ta­lier Inter­com­mu­nal du Pays du Rever­mont (39), il faut « prendre le temps de décou­vrir l’autre, ses habi­tudes de vie, pour respec­ter le plus possible son rythme. » Il convient égale­ment de se situer : « Je ramène toujours quelque chose de l’as­so­cia­tion : une plaquette, un docu­ment, que je laisse pour que la personne fasse le lien avec la SSVP et se sente plus en confiance », témoigne Clau­dia Soares, prési­dente de la Confé­rence de Cour­be­voie (92).

UNE DENRÉE PRÉCIEUSE : DU TEMPS


Entre les éven­tuels aidants et les profes­sion­nels, quelle place occu­per, en tant que béné­vole ? « Le profes­sion­nel vient pour la toilette, l’in­fir­mière donne les médi­ca­ments, l’aide à domi­cile assure le ménage et les repas.

Les gens nous touchent, nous apportent quelque chose, dans leur maladie, dans leur fragilité, dans leur différence.

Rafaela Munoz, 88 ans, reçoit les visites de Madyson, 2 ans, et Anaïs, 10 mois. Un moment qui lui rappelle les nombreuses gardes de son petit-fils quand il était enfant.

Et le béné­vole peut agir sur du loisir : de la lecture, des prome­nades, des échan­ges… », défi­nit Domi­nique Garnier. Marie-France Richard, prési­dente de la Confé­rence de Pontar­lier (25), estime que « la visite de béné­voles au domi­cile offre une autre rela­tion – plus « normale » – que celle que les gens entre­tiennent avec des profes­sion­nels. On boit le café, on vit des choses ordi­naires, on bavarde. » Les béné­voles ont en outre à offrir une denrée précieuse qui, souvent, fait défaut aux profes­sion­nels : du temps.
La visite à domi­cile, selon ceux qui la pratiquent, offre de nombreux béné­fices. « Les gens qui vieillissent le mieux, ce sont ceux qui ont un entou­rage social, qui ont de l’in­té­rêt pour des choses, qui sont solli­ci­tés. Être solli­cité, c’est être encore en vie », résume Domi­nique Garnier. En contre­par­tie, la cadre supé­rieure de santé estime qu’ « accom­pa­gner les gens, c’est faire de belles rencontres. Les gens nous touchent, nous apportent quelque chose, dans leur mala­die, dans leur fragi­lité, dans leur diffé­rence. L’hu­main est complexe, mais telle­ment riche ! » Le béné­fice peut égale­ment se révé­ler d’ordre spiri­tuel : « Les personnes qui se dirigent vers leur fin de vie partagent une vision que nous n’avons pas car nous n’en sommes pas à ce stade du chemin, pense Régine Racine. C’est très riche. »

« DES SOUVE­NIRS TRÈS DOUX
À SE REMÉ­MO­RER »

L’en­chan­te­ment authen­tique que l’on peut trou­ver dans la visite à domi­cile ne doit pas occul­ter la surve­nue possible de diffi­cul­tés. La Confé­rence, alors, est le lieu privi­lé­gié pour « vider son sac » et prendre du recul : « En réunion de Confé­rence, on fait un tour de table, décrit Domi­nique Chupin, béné­vole de la Confé­rence de Bordeaux, on partage les diffi­cul­tés. En les expo­sant, elles paressent moins lourdes et l’exer­cice nous distan­cie de notre émotion, qu’elle ait inten­si­fié ou anes­thé­sié notre juge­ment. » S’il faut se proté­ger, il faut aussi savoir accueillir ce que la rencontre peut géné­rer en soi. C’est en tout cas ce que défend Régine Racine : « On ne peut pas « se blin­der », s’ar­mer d’une cara­pace, estime-t-elle, car la parole de l’autre ne doit pas rico­cher sur nous. » 

Et l’on sera meur­tri, parfois, comme Clau­dia Soares après qu’une personne à qui elle rendait visite depuis plusieurs années est décé­dée. « Ça a été dur pour moi. C’était une femme char­mante, drôle, on allait souvent se prome­ner, elle me racon­tait plein de choses sur le quar­tier… C’est la vie, c’était son heure. Je prie pour elle et j’ai des souve­nirs très doux à me remé­mo­rer d’elle. » Parfois, un accom­pa­gne­ment psycho­lo­gique peut se révé­ler profi­table pour une personne qu’une situa­tion aurait pu secouer.

Certains ont en eux un sens du sacri­fice parti­cu­lier, qu’il faut savoir respec­ter, mais seule­ment si toutes les garan­ties sont remplies et lui permettent de s’en­ga­ger dans des propor­tions soute­nables. Renée par exemple, une béné­vole à Besançon (25), ne sait pas vrai­ment expliquer pourquoi elle pour­suit un accom­pa­gne­ment qui parfois l’épuise : « Je rends visite à une dame. On s’est rencon­trées il y a une dizaine d’an­nées à la sortie de la messe. Je lui ai proposé d’al­ler déjeu­ner. Le lieu ne lui a pas plu : trop grand, pas ce qu’elle avait l’ha­bi­tude de manger… mais j’ai senti qu’elle avait besoin de moi. Au début, elle n’était pas toujours gentille mais je me suis accro­chée. Main­te­nant, on se connaît mieux. » Domi­nique Garnier connaît bien ce type de compor­te­ments : « Quand, au domi­cile, vous avez quelqu’un de désa­gréable, ça peut être du contre-trans­fert. C’est l’ex­pres­sion que la personne ne supporte pas d’être dans sa situa­tion, qu’elle en veut à l’autre d’être mieux portant. » Renée a trouvé le récon­fort dans la prière.

Hubert Derache, président de la SSVP, estime que rendre visite aux personnes précaires et/ou isolées est important, chargé de sens et porteur de fruits.

« C’est une rencontre avec la personne même du Christ »

Pourquoi la visite à domi­cile est-elle impor­tante ?

Monsieur Vincent et, deux siècles plus tard, Frédé­ric Ozanam ont tous les deux accordé une impor­tance primor­diale à la rencontre, dans son lieu de vie, avec notre prochain en fragi­lité, dans un cœur à cœur frater­nel. En cela, selon les paroles de l’Évan­gile, c’est une rencontre avec la personne même du Christ, qui s’est fait pauvre parmi les pauvres pour notre propre Salut. L’Écri­ture Sainte regorge ainsi d’exemples où notre Seigneur est lui-même visité dans la crèche de Noël (les mages) ou, bien plus tard dans son minis­tère, visite la personne dans sa propre fragi­lité humaine : l’aveugle, le lépreux, le collec­teur d’im­pôt, etc. Le Vincen­tien, bien modes­te­ment, s’ins­crit dans cette atten­tion frater­nelle à l’autre et répond à cette exigence inscrite dans la Règle inter­na­tio­nale.

À quels besoins répond-elle ?

Les besoins couverts par cette rencontre sont de tous les ordres. On pense bien sûr, en premier lieu, au besoin maté­riel, mais pas unique­ment : le besoin à satis­faire est aussi d’ordre social (rupture de la soli­tude), voire spiri­tuel, souvent à la demande du frère ou de la sœur visi­tés.

Quels béné­fices chacun trouve-t-il dans la rela­tion qui en découle ?

Outre le senti­ment de l’uti­lité de sa visite pour le béné­vole, ce dernier apporte son empa­thie et son sens de l’écoute, pas toujours évidents à établir au cours des premières visites. Au fur et à mesure que la rela­tion s’ins­talle, l’in­ter­ac­tion dans la conver­sa­tion et l’écoute vont progres­si­ve­ment se mettre en place et conduire à une véri­table inti­mité si la personne visi­tée se sent écou­tée et que son visi­teur se sent compris. D’une rela­tion suivie et riche naissent de beaux fruits comme celui du respect mutuel, de l’em­pa­thie qui finit fréquem­ment par deve­nir une belle amitié, du senti­ment pour la personne visi­tée de retrou­ver sa pleine dignité et la confiance en soi souvent perdue au fil des épreuves traver­sées. Le visi­teur ressent, à cet instant, l’in­fi­nie joie de rece­voir plus qu’il n’a donné. Dans cette acti­vité de la visite comme dans d’autres actions menées en Confé­rence, le plus beau des fruits recueillis est lorsqu’il arrive, de temps à autre, que la personne suivie demande, par la suite, à deve­nir béné­vole. On mesure alors l’éten­due et la beauté du chemin parcouru avec la Grâce de l’Es­prit Saint.

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