« Ensemble, créer de la vie et du beau »

chorale creteil
Yannick Hanafi

Réalisateur 5e Etage Production

Yannick Hanafi

Pendant plusieurs mois, les réali­sa­teurs de 5e Étage Produc­tions ont suivi certaines équipes de la Société de Saint-Vincent-de-Paul lors de leur prépa­ra­tion aux Rencontres Natio­nales. Yannick Hanafi, l’un des deux réali­sa­teurs, dévoilent les coulisses de la mini-série vidéo.

– Quel est l’es­prit de cette mini-série ? 

– On a commencé avec une troupe de théâtre en région, pour réali­ser un docu­men­taire. Mais, à l’oc­ca­sion des Rencontres Natio­nales de la Société de Saint-Vincent-de-Paul à Lourdes, on s’est rendu compte qu’il y avait un appel à projets, avec plusieurs propo­si­tions partout en France. On s’est dit que ce serait plus inté­res­sant de filmer ça. On a proposé cinq épisodes de 10 minutes au lieu d’un seul film de 52 minutes.

Comment avez-vous travaillé ? 

– On a essayé de faire des portraits, même si les histoires de chacun sont un peu excep­tion­nelles. Il y a une forme d’uni­ver­sa­lité et d’hu­ma­nité qui se dégagent de chacune d’entre elles. C’est assez touchant. 

– Quels sont les défis rencon­trés pour racon­ter cette histoire ? 

– Ce sont des personnes et des histoires diffé­rentes à filmer dans un temps très court et dans des lieux diffé­rents. On essaie d’avoir une écri­ture la plus inti­miste possible, le plus proche de la réalité qu’on perçoit. N’étant pas béné­vole, mon regard sur les personnes filmées est très diffé­rent. Je découvre la réalité de leur quoti­dien, les enjeux qui les traversent et les histoires intimes qui me touchent. J’ima­gine que cela peut toucher le public.

– Comment travaillez-vous avec des personnes qui n’ont pas forcé­ment l’ha­bi­tude d’être filmées ?

– L’équipe est réduite, on est trois : un ingé­nieur du son, Gaël Bordier et moi-même. On appelle les béné­voles avant de venir les filmer, ça n’est pas toujours possible pour les personnes accueillies. On tourne entre 2 et 5h d’images. Et j’en­re­gistre une heure d’in­ter­view, sans images : pour trans­mettre plus faci­le­ment les émotions. Quand la personne est filmée, le dialogue change, elle s’écoute ou se regarde parler. J’ai souvent une longue inter­view, de laquelle je tire quelques minutes. C’est déli­cat aussi, parce que j’en­tends des histoires de vies et des enjeux qui touchent à l’in­time. Des personnes qui se livrent sur leur vie, leur famille, des choses diffi­ciles. Elles m’en parlent à moi, alors qu’on vient de se rencon­trer, je me sens un peu privi­lé­gié. 

– Comment filmez-vous aussi près ? Vous êtes souvent à côté des personnes !

– Le dispo­si­tif, c’est deux appa­reils photos avec des longues focales. Gaël fait les plans larges la plupart du temps.  Pour les plans vrai­ment plus serrés, par exemple à Siste­ron (04), sur l’épi­sode consa­cré aux Spec­ta­cu­laires, j’étais dans les loges derrière. Je suis près des personnes pour qu’elles s’ha­bi­tuent et oublient que je suis là. Et surtout, on filme sans jamais rien leur deman­der. On filme beau­coup, beau­coup, pour capter un maxi­mum de choses. 

– Comment réagissent les personnes qui sont filmées ? 

– Il y a d’abord, peut-être, un peu d’ap­pré­hen­sion mais aussi de plai­sir de se savoir filmé, c’est une forme de recon­nais­sance pour ces personnes. C’est rare pour elles. Au cours du tour­nage, j’ai rencon­tré un prota­go­niste inté­res­sant, mais j’ai eu un dilemme parce que je me suis rendu compte qu’il souffre non seule­ment d’une forme de préca­rité sociale mais aussi, sans doute, d’une forme de handi­cap. Et pour­tant, j’ai eu envie que cette personne s’ex­prime dans l’épi­sode, qu’on l’en­tende répondre aux mêmes ques­tions que les autres, parce que sa subjec­ti­vité est inté­res­sante. Pour cet épisode, je ne suis pas allé cher­cher la personne la plus éloquente ou celle qui le plus de faci­lité à s’ex­pri­mer [devant une caméra] et donner du contenu. J’ai choisi des paroles qui sont plus rares. C’est inha­bi­tuel d’avoir dix minutes de paroles d’une personne fragile dans un docu­men­taire. Au cours de la série, j’ai rencon­tré des personnes comme ça, fragiles, un peu diffé­rentes. Et cela m’a ouvert à la possi­bi­lité de réali­ser des inter­views comme ça avec elles, sans être encom­bré et sans être voyeur, car la limite est mince. Leur confiance est précieuse.

– Qu’est-ce qui vous a marqué dans cette série de rencontres et cette démarche Lourdes 2024 ? 

– Derrière ces diffi­cul­tés de ces personnes se cachent des démarches artis­tiques qui créent de l’émo­tion et qui nous amènent à Lourdes. C’est passion­nant de voir que, peu importe la démarche artis­tique, peu importe même la qualité d’exé­cu­tion, chaque personne qui parti­cipe à l’ate­lier a un plai­sir à construire, utili­ser ses mains, sa créa­ti­vité, à se servir de sa condi­tion pour expri­mer des choses.

– Qu’est-ce que cette série dit de la Société de Saint-Vincent-de-Paul ? 

 – Quand Jean-Charles Mayer [direc­teur de la commu­ni­ca­tion] m’a présenté l’as­so­cia­tion, il m’a dit « on est là pour tout faire, pour pallier toutes les soli­tudes. Et tous les moyens sont bons : les visites à domi­cile, les maraudes, les aides alimen­tai­res… » J’ai le senti­ment que cette démarche artis­tique aussi. Bien sûr, elle ne répond pas à un besoin primaire, on n’est pas dans une urgence, mais cela parti­cipe aussi à pallier la soli­tude, il y a une utilité. Et puis cela déplace aussi la rela­tion entre les béné­voles et les personnes. Cela hori­zon­ta­lise le lien entre les gens parce qu’il y a une liberté aussi chez ces personnes qui ont leur expres­sion, qui parfois surprend et permet vrai­ment aux béné­voles orga­ni­sant les ateliers d’ob­ser­ver le beau, l’échange, mais de façon radi­ca­le­ment diffé­rente. On recréé de la vie, ça change tout. J’ai aussi observé que ce qui plait à tous, c’est d’en­ta­mer une démarche, de faire quelque chose ensemble qui crée de la vie et du beau. Quand on filme une maraude ou une distri­bu­tion alimen­taire, c’est plus diffi­cile, il y a une forme de gêne et de honte. Là, dans cette série, les personnes sont mises en avant et le vivent comme un moment de partage plus que comme un moment de don.  

– Qu’est-ce que cette mini-série a changé pour vous ? 

– Chaque tour­nage avec la Société de Saint-Vincent-de-Paul est à part, par rapport à tout notre quoti­dien. En fait, ce que ce tour­nage m’a appris, c’est à préser­ver la déli­ca­tesse que je peux avoir en inter­view. Souvent, je me repro­chais de ne pas aller cher­cher l’ef­fi­ca­cité, de faire trop long… Je me suis rendu compte que le seul moyen de faire une bonne inter­view, c’est de sincè­re­ment s’in­té­res­ser aux gens. Un docu­men­taire réussi, c’est avant tout un docu­men­taire avec les gens et même pour les gens. Enfin, pour ces personnes, ces vidéos maté­ria­lisent une expé­rience de vie, c’est un objet qui leur permet­tra de se souve­nir de ce moment-là. C’est ma petite victoire à chaque fois : les personnes filmées existent pour toujours d’une certaine manière.