Fratello : à Rome, les plus fragiles montrent le chemin de la lumière
Fratello : à Rome, les plus fragiles montrent le chemin de la lumière
À Rome, les pèlerins de Fratello avancent entre fatigue et émerveillement, portés par la prière, la fraternité et la découverte. Récit d’une première journée de partage. Par Valérie-Anne Maitre, rédactrice en chef
9h30, la Trinité-des-Monts
« C’est par où l’ascenseur ? » Casquette rose sur la tête, sac bleu dans le dos, les pèlerins de Fratello se repèrent facilement dans les rues de Rome. À la panoplie officielle, les membres de la Société de Saint-Vincent-de-Paul ajoutent leur gilet bleu logotypé.
Ce vendredi matin, premier jour du Jubilé des Pauvres, tous convergent vers l’église de la Trinité-des-Monts au cœur de Rome. Et, devant la haute volée d’escaliers, certains cherchent à prendre de la hauteur sans trop fatiguer leurs genoux. Le trajet jusqu’à Rome a été fatiguant, certains n’ont jamais voyagé ou presque. « Cela fait dix ans que je ne suis pas partie de Paris, raconte Odile, 75 ans, accompagnée par une équipe de la Société de Saint-Vincent-de-Paul parisienne. Mais là, je me sens en sécurité dans mon groupe. C’est bien comme ambiance, c’est humain, chaleureux ! »
Une fois sur les hauteurs, ils sont accueillis par un café et de la musique d’ambiance. Certains entament une flash mob, d’autres partent prier dans l’église avant de découvrir les ateliers proposés et pensés pour tous : chapelet, puzzle, vénérations des reliques de sainte Thérèse ou décoration de la table du banquet de dimanche. « J’ai fabriqué des fleurs en papier ! » annonce fièrement Daisy, également accompagnée par l’équipe de Paris. Assis à côté d’elle, Gennaro hoche la tête de satisfaction, pour lui c’était coloriage. Un peu plus loin, Catherine Philippe, animatrice en pastorale pour le Conseil national de France, écoute les témoignages des participants.

Dans l’ancien réfectoire orné des fresques d’Andrea Pozzo (1642–1709), le cardinal François Bustillo, archevêque d’Ajaccio, accueille une soixantaine de personnes. Son atelier prend la forme d’une séance de question/réponse. Les critères pour choisir un pape ? « Ni la nationalité ni l’affection qu’on a pour l’homme. » Quelle figure de charité l’inspire aujourd’hui ? « Une religieuse de 80 ans, sœur Pia, elle avait une telle qualité de contact ! J’avais 18 ans et sa figure m’accompagne encore aujourd’hui. » Intimidée, une jeune femme lève finalement la main pour l’ultime question : un mot pertinent pour révéler l’âme du monde ? « L’amour » répond le prélat du tac au tac. Applaudissements. Dans la cour, la voix des organisateurs résonne dans l’ampli : il est l’heure de partir pour la messe.

12h, Sant’Andrea della Valle
« On va où ? » La porte est étroite pour entrer dans la basilique Sant’Andrea della Valle et la file s’allonge dans la rue. Laura s’inquiète de la suite du programme. « C’est la messe, lui répond Geoffroy, responsable du groupe de Mulhouse. On déjeune et après on va à la veillée, on pourra se confesser et ainsi se préparer pour passer la Porte Sainte. » Laura hoche la tête et sourit à sa copine Mireille. Les deux femmes sont parties en avion la veille, depuis Mulhouse. « C’était la première fois, j’ai eu un peu peur mais ça va. » explique Laura. Ce matin, elles ont visité la ville : « On a vu une église là-bas et une autre pas loin. On a acheté des souvenirs ! » Mireille confirme qu’elle a trouvé un magnet pour son frigo « mais c’est le pape d’avant ! »

Enfin, le petit groupe parvient à entrer dans l’église et s’installe pour la messe. La chorale Fratelli – composée de bénévoles et d’accueillis – accompagne la liturgie. « Nous sommes tous des pauvres, rappelle le cardinal Bustillo dans son homélie, nous devons être solidaires et fraternels. » Dans une petite chapelle consacrée à Marie et qui donne directement sur le chœur, un groupe de la Société de Saint-Vincent-de-Paul Paris écoute avec attention. « L’Église n’est pas un club avec une première et une deuxième division ! Nous sommes une famille, insiste le cardinal Bustillo, unis pour nous soutenir et nous aimer. Là où nous vivons, on transmet un peu de lumière alors le monde va mieux, il est plus juste et plus heureux. » Blottis les uns contre les autres, sans doute un peu émus par la solennité des lieux, certains échangent des gestes de gratitude et de réconfort, sous le regard de la Vierge de Guadalupe.

La messe s’achève, il faut repasser par la petite porte pour sortir dans la rue. Les consignes sont données pour le déjeuner. Mais déjà, Maxence et Vanessa, de Paris, ont le souci de l’étape suivante : la basilique Saint-Paul-hors-les-Murs. La fatigue et une grève des transports publics complique le trajet. Pour Maryline, qui souffre des genoux, marcher devient douloureux. Pourtant, cette bénévole alsacienne a décidé de faire cet effort, une « offrande » pour ce pèlerinage qu’elle vit intensément avec toute son équipe. « On envoie des photos à ceux qui sont restés en Alsace, confirme Geoffroy. En retour, ce matin, l’équipe hebdomadaire de la distribution alimentaire a partagé des vidéos pour montrer leur travail ! On vit vraiment ça ensemble. »
17h, Saint-Paul-hors-les-Murs
« Je viens pour la grâce », confie Jean-Paul, bénévole à Mulhouse. Le soir tombe sur la basilique Saint-Paul et la file de pèlerins s’allonge pour franchir les portes. Au programme : gospel, recueillement et écoute de la parole. Sur les côtés de la nef, une dizaine de prêtres donnent le sacrement de réconciliation tandis que des bénévoles proposent des points d’écoute. Chacun est invité à déposer son fardeau et préparer son cœur pour passer une Porte sainte.

Au premier rang, Magdalena regarde le chœur avec attention. « J’ai été accueillie il y a dix ans par la Société de Saint-Vincent-de-Paul de Paris, raconte-t-elle. C’était mon rêve de venir ici à Rome. Je viens d’Argentine, comme le pape François. Je connais son amour incroyable pour les plus vulnérables. » Comme elle, ils sont plusieurs à déposer des intentions de prière au pied de l’autel. Au fond de l’église, l’équipe de la Martinique participe avec ferveur à la veillée. Ce jubilé romain est aussi une première pour la quinzaine de femmes qui a pu rencontrer d’autres associations investies auprès des plus fragiles comme Lazare ou Aux Captifs la Libération. « C’est vivifiant de voir ce que les autres réalisent dans l’accompagnement avec les plus fragiles, cela donne des idées. » confie Régine qui pilote le groupe.

19h, la veillée prend fin. Les participants se rassemblent par diocèse pour regagner leurs hébergements, encore tout empreint de la ferveur du moment.
Ils ont marché, levé les yeux pour découvrir la Ville éternelle, ils ont prié, chanté, dansé parfois, et rien n’entament leur bonne humeur. La nuit romaine permet encore des photos souvenirs devant la statue de saint Paul dans le jardin. Après quelques heures de repos, ils repartiront gonflés de joie, prêts à jubiler pour la deuxième journée.