Faire ensemble : de l’engagement à la joie partagée

Que signifie notre implication auprès des plus démunis ? Suppose-t-elle toujours une séparation nette entre celui qui donne et celui qui reçoit ? À côté des œuvres de charité traditionnelles, faire ensemble nous invite à repenser les rôles et les raisons de notre engagement. Et si nous découvrions par son biais que le don de soi pouvait aussi procurer une joie sincère ? Dossier réalisé par Marianne Aubry-Lecomte, pigiste

Faire avec et ensemble au lieu de faire pour

Dans le champ de l’ac­tion sociale, il est devenu courant de distin­guer le « faire pour » du « faire avec » et du « faire ensemble ». Le « faire pour » désigne un mode d’in­ter­ac­tion où les aidants et les aidés sont clai­re­ment diffé­ren­ciés et où seuls les premiers agissent. Quand on « fait avec », les deux parties agissent mais sont encore nette­ment iden­ti­fiées dans leur rôle respec­tif, tandis que, dans le « faire ensemble », les fron­tières s’es­tompent au profit du partage et de la créa­tion commune.

Chacune de ces moda­li­tés est légi­time selon les situa­tions. Aussi, comme l’ex­plique Meriam Longomba, respon­sable mobi­li­sa­tion Grand public au Secours Catho­lique, « même dans un événe­ment parti­ci­pa­tif, 'faire ensem­ble’ ne signi­fie pas obli­ger à faire mais donner la place et la confiance pour que ceux qui en ont l’en­vie le puissent. »

Au plus près des besoins

Une des spéci­fi­ci­tés du faire ensemble est d’im­pliquer les personnes aidées dès la concep­tion du projet ou de l’ac­tion, afin de se rappro­cher au plus près de leurs attentes plutôt que de leur impo­ser des solu­tions.

C’est le cas de l’as­so­cia­tion Entou­rage, qui a déve­loppé une appli­ca­tion mobile mettant en lien les personnes en situa­tion de grande préca­rité avec leurs voisins ; elle comprend un Comité de la Rue au sein de ses organes de gouver­nance. « L’idée, depuis la créa­tion de l’as­so­cia­tion, est de s’ap­puyer sur le vécu et l’ex­pé­rience des personnes qui connaissent la préca­rité pour créer, amen­der ou refu­ser des projets  » explique Caro­line de Pontac, sa direc­trice géné­rale adjointe. « Ainsi, notre dernier projet autour des infra­struc­tures spor­tives émane entiè­re­ment de ce Comité », précise-t-elle.

C’est aussi pour cette raison que la Fonda­tion Abbé Pierre, dans le cadre de son programme « Soute­nir l’en­ga­ge­ment des habi­tants », a choisi de finan­cer direc­te­ment des asso­cia­tions de quar­tiers défa­vo­ri­sés. France Michel, direc­trice adjointe des missions sociales de la Fonda­tion, témoigne de la grande créa­ti­vité dont ces petites struc­tures ont fait preuve, notam­ment durant la crise sani­taire. « En donnant aux personnes concer­nées les moyens de s’ex­pri­mer et de déve­lop­per des projets en collec­tif, cela contri­bue aussi à recon­naître chacun dans sa capa­cité à agir » dit-elle.

« S’ap­puyer sur le vécu et l’ex­pé­rience des personnes pour créer » Caro­line de Pontac (Entou­rage)

A Paris, à l'Accueil 15, bénévoles et personnes accueillies préparent le déjeuner.

Recon­naître l’autre et ses talents

Faire ensemble, c’est en effet recon­naître l’autre comme sujet et comme acteur. Or, le besoin de recon­nais­sance est fonda­men­tal pour tout être humain. À la suite de Hegel et de Durkheim, le socio­logue Serge Paugam démontre, dans La disqua­li­fi­ca­tion sociale, que, pour les personnes exclues, comp­ter pour la société est presque plus impor­tant que de comp­ter sur la société. C’est ce dont témoigne Charles, l’un des habi­tants en situa­tion de handi­cap d’une maison parta­gée Simon de Cyrène : « Cela fait dix ans que l’on s’oc­cupe de moi donc je suis venu ici car on prend soin les uns des autres, on a chacun une utilité pour l’autre. »

Le « faire ensemble » permet aux apti­tudes de chacun de se dévoi­ler. Meriem Longomba du Secours Catho­lique explique que c’est grâce à l’or­ga­ni­sa­tion parta­gée de réveillons de Noël qu’une des personnes accueillies a révélé avoir été chef pâtis­sier dans son pays d’ori­gine. Et c’est exac­te­ment le postu­lat dont part l’as­so­cia­tion Les Petites Cantines qui propose à des convives d’un même quar­tier de se retrou­ver autour d’un repas parti­ci­pa­tif et à prix libre. « Rencon­trer l’autre à travers nos talents est une immense richesse et permet de côtoyer des gens que l’on n’au­rait pas rencon­trés autre­ment » explique Ariane Derville, co-prési­dente de l’as­so­cia­tion. Aussi, souligne-t-elle, « en prépa­rant les repas ensemble, chacun déve­loppe non seule­ment la confiance en soi mais aussi en l’autre ».

Oser la rencontre et la créa­ti­vité

Car la rencontre est bien au cœur du faire ensemble qui n’est pas la pair-aidance. « Le « faire ensemble » n’est pas un faire « entre soi » (…) mais un faire « entre autrui ». Faire ensemble quand chacun dispose des mêmes compé­tences, des mêmes cultures (…) n’est pas un « faire » au sens d’une créa­tion », analyse Roland Janvier, cher­cheur en sciences sociales. Et cela demande du courage et de la créa­ti­vité.

Deux quali­tés dont a fait preuve Johan Daix, adepte de la muscu­la­tion qui, à la suite d’un acci­dent de moto, s’est retrouvé en fauteuil roulant. Consta­tant que la plupart des salles de sport n’étaient pas acces­sibles, il a créé en 2020 Adap­ta­team, une asso­cia­tion de cross-trai­ning (sessions d’en­traî­ne­ments physiques) où les sessions se pratiquent en binômes compo­sés d’une personne valide et d’une personne en situa­tion de handi­cap. « Les uns ne sont pas là pour assis­ter les autres mais il y a une entraide, un véri­table effort commun et cela se ressent dans le plai­sir partagé qui ressort de chacune des séances », explique-t-il enthou­siaste.

Une source de joie

Si faire ensemble demande donc du courage pour avan­cer sans forcé­ment savoir où l’on va, de la créa­ti­vité et un impor­tant travail d’adap­ta­tion, il est aussi la source d’une joie profonde.

C’est pour toutes ces raisons que ce modèle a été choisi par l’as­so­cia­tion Frédé­ric Ozanam (affi­liée à la Société de Saint-Vincent-de-Paul) qui orga­nise des séjours de vacances mêlant personnes âgées et jeunes volon­taires au Château de Monceau près de Mâcon (71). « Les personnes viennent avant tout pour les rencontres inter­gé­né­ra­tion­nelles même si le cadre est magni­fique », explique son président Éric Jean­tet. « Et ceci n’est possible que grâce à la bien­veillance dont chacun doit faire preuve pour se comprendre. »

Une expé­rience qui trans­forme

Cet enri­chis­se­ment mutuel, Pierre Durieux, secré­taire géné­ral de Lazare, asso­cia­tion qui déve­loppe des colo­ca­tions soli­daires entre jeunes actifs et sans-abri, le constate au quoti­dien. « Nous savions que la maison serait une chance pour nos amis de la rue. Ce que nous avons décou­vert, c’est que cette expé­rience trans­forme aussi les jeunes pros qui s’en­gagent », raconte-t-il. Avant de nous rela­ter leurs propos : « Ils témoignent de la richesse de passer d’une vie basée sur la compé­ti­tion à la commu­nion : les repas parta­gés, les confi­den­ces… Vivre avec des personnes cabos­sées m’au­to­rise à être moi-même, à ne pas dissi­mu­ler mes bles­sures.  »

Pour résu­mer, dit encore Pierre Durieux :  « Il n’y a pas des gens qui vont bien et d’autres qui ne vont pas bien. Il y a des colocs qui choi­sissent de gran­dir les uns par les autres. » Et si c’était fina­le­ment le cas de tous ceux qui s’en­gagent pour faire ensemble ? 

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