L’Accueil 15 une maison dans la rue
Faire ensemble : de l’engagement à la joie partagée
Que signifie notre implication auprès des plus démunis ? Suppose-t-elle toujours une séparation nette entre celui qui donne et celui qui reçoit ? À côté des œuvres de charité traditionnelles, faire ensemble nous invite à repenser les rôles et les raisons de notre engagement. Et si nous découvrions par son biais que le don de soi pouvait aussi procurer une joie sincère ? Dossier réalisé par Marianne Aubry-Lecomte, pigiste
Faire avec et ensemble au lieu de faire pour
Dans le champ de l’action sociale, il est devenu courant de distinguer le « faire pour » du « faire avec » et du « faire ensemble ». Le « faire pour » désigne un mode d’interaction où les aidants et les aidés sont clairement différenciés et où seuls les premiers agissent. Quand on « fait avec », les deux parties agissent mais sont encore nettement identifiées dans leur rôle respectif, tandis que, dans le « faire ensemble », les frontières s’estompent au profit du partage et de la création commune.
Chacune de ces modalités est légitime selon les situations. Aussi, comme l’explique Meriam Longomba, responsable mobilisation Grand public au Secours Catholique, « même dans un événement participatif, 'faire ensemble’ ne signifie pas obliger à faire mais donner la place et la confiance pour que ceux qui en ont l’envie le puissent. »
Au plus près des besoins
Une des spécificités du faire ensemble est d’impliquer les personnes aidées dès la conception du projet ou de l’action, afin de se rapprocher au plus près de leurs attentes plutôt que de leur imposer des solutions.
C’est le cas de l’association Entourage, qui a développé une application mobile mettant en lien les personnes en situation de grande précarité avec leurs voisins ; elle comprend un Comité de la Rue au sein de ses organes de gouvernance. « L’idée, depuis la création de l’association, est de s’appuyer sur le vécu et l’expérience des personnes qui connaissent la précarité pour créer, amender ou refuser des projets » explique Caroline de Pontac, sa directrice générale adjointe. « Ainsi, notre dernier projet autour des infrastructures sportives émane entièrement de ce Comité », précise-t-elle.
C’est aussi pour cette raison que la Fondation Abbé Pierre, dans le cadre de son programme « Soutenir l’engagement des habitants », a choisi de financer directement des associations de quartiers défavorisés. France Michel, directrice adjointe des missions sociales de la Fondation, témoigne de la grande créativité dont ces petites structures ont fait preuve, notamment durant la crise sanitaire. « En donnant aux personnes concernées les moyens de s’exprimer et de développer des projets en collectif, cela contribue aussi à reconnaître chacun dans sa capacité à agir » dit-elle.
« S’appuyer sur le vécu et l’expérience des personnes pour créer » Caroline de Pontac (Entourage)
Reconnaître l’autre et ses talents
Faire ensemble, c’est en effet reconnaître l’autre comme sujet et comme acteur. Or, le besoin de reconnaissance est fondamental pour tout être humain. À la suite de Hegel et de Durkheim, le sociologue Serge Paugam démontre, dans La disqualification sociale, que, pour les personnes exclues, compter pour la société est presque plus important que de compter sur la société. C’est ce dont témoigne Charles, l’un des habitants en situation de handicap d’une maison partagée Simon de Cyrène : « Cela fait dix ans que l’on s’occupe de moi donc je suis venu ici car on prend soin les uns des autres, on a chacun une utilité pour l’autre. »
Le « faire ensemble » permet aux aptitudes de chacun de se dévoiler. Meriem Longomba du Secours Catholique explique que c’est grâce à l’organisation partagée de réveillons de Noël qu’une des personnes accueillies a révélé avoir été chef pâtissier dans son pays d’origine. Et c’est exactement le postulat dont part l’association Les Petites Cantines qui propose à des convives d’un même quartier de se retrouver autour d’un repas participatif et à prix libre. « Rencontrer l’autre à travers nos talents est une immense richesse et permet de côtoyer des gens que l’on n’aurait pas rencontrés autrement » explique Ariane Derville, co-présidente de l’association. Aussi, souligne-t-elle, « en préparant les repas ensemble, chacun développe non seulement la confiance en soi mais aussi en l’autre ».
Oser la rencontre et la créativité
Car la rencontre est bien au cœur du faire ensemble qui n’est pas la pair-aidance. « Le « faire ensemble » n’est pas un faire « entre soi » (…) mais un faire « entre autrui ». Faire ensemble quand chacun dispose des mêmes compétences, des mêmes cultures (…) n’est pas un « faire » au sens d’une création », analyse Roland Janvier, chercheur en sciences sociales. Et cela demande du courage et de la créativité.
Deux qualités dont a fait preuve Johan Daix, adepte de la musculation qui, à la suite d’un accident de moto, s’est retrouvé en fauteuil roulant. Constatant que la plupart des salles de sport n’étaient pas accessibles, il a créé en 2020 Adaptateam, une association de cross-training (sessions d’entraînements physiques) où les sessions se pratiquent en binômes composés d’une personne valide et d’une personne en situation de handicap. « Les uns ne sont pas là pour assister les autres mais il y a une entraide, un véritable effort commun et cela se ressent dans le plaisir partagé qui ressort de chacune des séances », explique-t-il enthousiaste.
Une source de joie
Si faire ensemble demande donc du courage pour avancer sans forcément savoir où l’on va, de la créativité et un important travail d’adaptation, il est aussi la source d’une joie profonde.
C’est pour toutes ces raisons que ce modèle a été choisi par l’association Frédéric Ozanam (affiliée à la Société de Saint-Vincent-de-Paul) qui organise des séjours de vacances mêlant personnes âgées et jeunes volontaires au Château de Monceau près de Mâcon (71). « Les personnes viennent avant tout pour les rencontres intergénérationnelles même si le cadre est magnifique », explique son président Éric Jeantet. « Et ceci n’est possible que grâce à la bienveillance dont chacun doit faire preuve pour se comprendre. »
Une expérience qui transforme
Cet enrichissement mutuel, Pierre Durieux, secrétaire général de Lazare, association qui développe des colocations solidaires entre jeunes actifs et sans-abri, le constate au quotidien. « Nous savions que la maison serait une chance pour nos amis de la rue. Ce que nous avons découvert, c’est que cette expérience transforme aussi les jeunes pros qui s’engagent », raconte-t-il. Avant de nous relater leurs propos : « Ils témoignent de la richesse de passer d’une vie basée sur la compétition à la communion : les repas partagés, les confidences… Vivre avec des personnes cabossées m’autorise à être moi-même, à ne pas dissimuler mes blessures. »
Pour résumer, dit encore Pierre Durieux : « Il n’y a pas des gens qui vont bien et d’autres qui ne vont pas bien. Il y a des colocs qui choisissent de grandir les uns par les autres. » Et si c’était finalement le cas de tous ceux qui s’engagent pour faire ensemble ?