Jean-Marc Potdevin « La technologie dope le lien social »

Ingénieur de l’innovation chez les géants du net ou dans des start-up, Jean-Marc Potdevin a très tôt détecté le potentiel solidaire du numérique. Fort de ses dix années d’expérience au sein du réseau Entourage, dont il est le président-fondateur, il croit en une technologie créatrice de lien social.

À quel titre vous êtes-vous inté­ressé aux nouvelles tech­no­lo­gies ?

Par ma profes­sion : voilà 40 ans que je suis immergé dans ce milieu. J’ai travaillé dans plusieurs start-up (Kelkoo, Yahoo Europe, Criteo…) avant la créa­tion d’En­tou­rage et même après, pendant un temps. Avec un fil rouge depuis ma conver­sion en 2008 : que l’in­no­va­tion tech­no­lo­gique soit un outil pour trans­for­mer le monde, l’hu­ma­ni­ser. Un exemple ? Mes cinq années chez Qapa, entre­prise qui a déve­loppé une intel­li­gence arti­fi­cielle pour flui­di­fier l’em­ploi – via l’in­té­rim – avec une appli mobile.

Comment vous est venue l’idée de l’ap­pli­ca­tion Entou­rage ?

Alors que j’étais direc­teur tech­nique chez Viadeo, matin et soir sur ma route, je discu­tais avec des sans-abri. J’ai été boule­versé de consta­ter que leur besoin premier n’était pas de se nour­rir ou d’avoir un toit mais d’être reconnu. « Je n’existe pour personne » déplo­raient-ils. En paral­lèle, au travail, je déve­lop­pais avec mes équipes un réseau social profes­sion­nel. Ça a fait tilt : et si je créais aussi un réseau pour aider les personnes de la rue ? Un réseau social vrai­ment social, permet­tant aux passants qui se sentent dému­nis face à ces dernières d’in­té­grer une commu­nauté prête à se retrous­ser les manches pour recréer du lien dans leur quar­tier. Grâce à la tech­no­lo­gie, chaque citoyen peut agir à sa mesure.

Vous étiez alors un précur­seur ?

En France, seuls quelques parti­cu­liers s’em­pa­raient des réseaux sociaux pour l’or­ga­ni­sa­tion de maraudes par exemple. Le secteur social était plus réti­cent, soit par mécon­nais­sance, soit par la peur – toute légi­time – d’at­ten­ter à la vie privée des personnes SDF. Aussi chez Entou­rage prenons-nous moult précau­tions sur le plan éthique : pas de géolo­ca­li­sa­tion, pas de créa­tion de bases de données. Notre appli­ca­tion mobile est une plate­forme qui regroupe des voisins prêts à entrer en rela­tion avec des SDF par l’or­ga­ni­sa­tion d’évé­ne­ments (apéri­tif, foot…) et à s’épau­ler (échange de biens, bons plans, infor­ma­tions sur les struc­tures dédiées aux personnes en préca­rité). Nous avons été des défri­cheurs mais la situa­tion a évolué : la Tech for good a le vent en poupe et c’est une bonne nouvelle !

Qu’en­ten­dez-vous exac­te­ment par Tech for good ?

C’est l’ex­pres­sion consa­crée, la tech­no­lo­gie pour le bien : l’en­semble des initia­tives dési­reuses d’em­ployer la tech­no­lo­gie et le digi­tal au service du bien commun, des enjeux soli­daires et écolo­giques. Dans le domaine qui nous occupe, nous sommes par exemple parte­naires de Soli­num qui a mis au point sur le web un guide de toutes les aides sociales exis­tantes (voir page 15). Il faut savoir qu’aujour­d’hui 70 % des sans-abri ont un smart­phone – recon­di­tionné, ça coûte 30–40 euros. Il sert à trou­ver de bonnes adresses, commu­niquer via les réseaux sociaux, conser­ver les papiers autre­fois faci­le­ment perdus (sac égaré ou volé)… Et aussi à s’éva­der, tuer le temps.

Quid de ceux qui sont dépour­vus de télé­phone ?

Leur inter­lo­cu­teur utilise l’ap­pli pour eux ! J’ai connu un sans-abri hongrois que la barrière de la langue isolait parti­cu­liè­re­ment. Grâce à une requête sur Entou­rage, une étudiante appre­nant cette langue s’est propo­sée pour servir d’in­ter­mé­diaire. Il y a tant d’avan­tages au numé­rique ! 50 % des personnes que nous accom­pa­gnons sont en dehors des radars du système social : elles nous trouvent sur Insta­gram ou Face­book.

En dix ans, combien ont béné­fi­cié de vos propo­si­tions ?

Envi­ron 13 000, dont 74 % disent « se sentir mieux dans leurs baskets » si l’on en croit les mesures d’im­pact que nous réali­sons avec des cabi­nets spécia­li­sés. Près de la moitié reprennent des démarches d’in­ser­tion socio-profes­sion­nelle. 170 000 personnes sont inscrites sur l’ap­pli­ca­tion, dans 30 villes. 60 % des rive­rains assurent avoir été trans­for­més par ces rencontres, avoir gagné en bien­veillance et en ouver­ture d’es­prit. Preuve que la tech aide à recréer un tissu social local !

Quelles sont vos pers­pec­tives ?

Élar­gir notre cible. Au-delà des 330 000 personnes sans-abri, 2 millions sont aujour­d’hui en situa­tion de préca­rité : familles mono­pa­ren­tales, jeunes sortis de l’ASE (Aide sociale à l’En­fance), personnes handi­ca­pées… Elles ont un toit mais souffrent d’iso­le­ment. Les nouveaux réseaux que nous avons créés, Entou­rage-Sport et Entou­rage-Pro, ont attiré ces publics-là. Nous ambi­tion­nons de les toucher davan­tage, en concer­ta­tion avec les asso­cia­tions de terrain. 

Propos recueillis par Raphaëlle Coque­bert, jour­na­liste

www.entou­rage.social

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