De la quête à la mission : financer la charité
Dès la fondation de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, Frédéric Ozanam et ses amis eurent conscience de la nécessité de fonds pour mener les actions de charité.
Que ce soit saint Vincent de Paul ou les fondateurs de la première Conférence de charité (lire Ozanam Magazine 253), tous ont eu une défiance à l’égard de l’argent. Les derniers, lors de la première réunion, décidèrent qu’ils feraient la charité sur leurs propres deniers. Pour cela, une quête avait lieu lors de chaque réunion. Chacun y participait à la hauteur de ses moyens dont il était seul juge1. Plus tard, Amélie Ozanam fut fière de dire que Frédéric donnait au moins 10 % de ce qu’il gagnait aux pauvres et les Ozanam n’étaient pas riches.
Mais, pour saint Vincent de Paul qui avait pu faire face aux besoins financiers grâce à l’origine noble ou bourgeoise des dames de charité, comme pour les Conférences, lorsque les œuvres se développèrent, il fallut bien trouver de l’argent ailleurs.
L’exemple de la fondation de la Congrégation de la Mission (Lazaristes), pour laquelle nous avons des chiffres par le contrat signé entre les époux de Gondi, ses bienfaiteurs, et M. Vincent, le montre : la somme donnée est de 45 000 livres (équivalent à plus d’un million et demi d’euros), dont 37 000 au comptant, ce qui est, comme le montre la conversion, une somme très importante2.
Les Filles de la Charité, en revanche, vécurent pauvrement3 aux dépens des paroisses dans lesquelles elles servaient : 100 livres par an (2 300 euros) et parfois moins. Quant aux « Enfants Trouvés », dernière œuvre créée, elle fut soutenue financièrement par les dames de charité 4.
Mesurer l’efficacité de l’action
À partir de 1841, la Société de Saint-Vincent-de-Paul publie ses comptes dans ses rapports annuels5. Les buts sont multiples comme rationaliser le traitement de la charité et mesurer l’efficacité de la Société. Le budget croît de manière importante, passant de 400 000 francs entre 1833 et 1841 (1 300 000 euros) à 5 millions en 1860 et 5,4 millions en 18726. On est donc bien loin de ce qui avait été décidé lors de la première réunion.
D’où proviennent les fonds ? Des sermons de charité, loteries et dons particuliers pour près de la moitié, des quêtes ordinaires, extraordinaires, des souscriptions et des recettes diverses pour l’autre moitié. La répartition est légèrement différente pour Paris, où notamment la part des « sermons de charité » croît d’une manière significative entre 1841 et 1851.
Embourgeoisement de la charité
Certains confrères à l’origine de la première Conférence, dont Lallier alors secrétaire général et qui s’en ouvrit à Ozanam, vécurent mal ce changement, en opposition avec les traditions d’humilité du début. Mais, surtout, la charité prenait un tour mondain7. Comme Victor Hugo l’écrira en 1842, « peu d’époques ont été plus fertiles en œuvres charitables de toutes sortes, et la mode venant au secours de la religion, il n’était pas de dame de la haute société qui ne tint l’honneur d’avoir ses pauvres ». C’est cet embourgeoisement aussi que redoute Lallier. Enfin, ces quêtes introduisaient une différence entre les Conférences, fonction du fait qu’elles se trouvaient proches d’une paroisse riche ou populaire. (Contrairement à d’autres œuvres, la Société de Saint-Vincent-de-Paul s’interdit les quêtes à domicile en raison des abus qu’elles pourraient engendrer).
Mais le mouvement est lancé, d’autant plus que les dépenses augmentent. Celles-ci sont toujours consacrées en premier lieu aux secours matériels fournis à domicile (70 %), viennent ensuite les « œuvres diverses » dont les patronages avec encore une différence entre Paris et la province, la capitale faisant davantage de visites à domicile.
En conclusion, si le gain d’argent n’est pas le but premier des œuvres de charité, les exemples cités montrent qu’il n’est pas possible d’avoir, dans la durée, une action efficace sans moyens matériels.
Christian Dubié, président du Conseil départemental du Cher
La quête en séance a perduré et se poursuit parfois.
P. J-Y Ducourneau c.m. « Saint Vincent
de Paul – l’amour est un feu »Elles faisaient vœu de pauvreté
P. J-Y Ducourneau c.m. « Saint Vincent
de Paul par ses écrits »Mathieu Bréjon de Lavergnée
« La Société de Saint-Vincent-de-Paul au XIXe siècle, un fleuron du catholicisme »Ibid.
Ibid.