La correspondance d’Amélie Ozanam
Entre la fin de l’année 1840 et l’été 1851 – date à partir de laquelle le couple ne sera plus séparé – Amélie Ozanam écrit 79 lettres à son fiancé, puis à son mari. À travers cette correspondance, c’est une femme qui se dévoile et un couple qui se construit, sous nos yeux. Par Christian Dubié, bénévole.

Une correspondance révélée
Nous connaissons bien les lettres de Frédéric Ozanam grâce à son épouse, Amélie, qui les rassembla très tôt après sa mort. Elles seront publiées partiellement pour la première fois dès 1865.1 En revanche, on connaît peu les lettres d’Amélie elle-même, la correspondance du couple n’ayant été publiée qu’en 2018.2
Lorsqu’ils se fiancent, le 24 novembre 1840, Frédéric Ozanam et Amélie Soulacroix ne se connaissent pratiquement pas. Frédéric va rapidement partir pour Paris, à la suite de sa nomination comme professeur à la Sorbonne. Avant le mariage, le 23 juin 1841, il ne reviendra que deux semaines à Lyon, au moment de Pâques. C’est donc à travers une cinquantaine de lettres que les fiancés vont apprendre à se connaître. Par la suite, ces lettres les aideront à supporter l’absence lors de leurs séparations.
Une fiancée libre et lucide
Quand, par l’intermédiaire de l’abbé Noirot 3, Amélie rencontre Frédéric, c’est une jeune fille qui vit heureuse au sein de sa famille. Elle a repoussé deux demandes en mariage et se voit sereinement « vieillir fille » en s’occupant de l’aîné de ses deux jeunes frères paralysé.
Amélie ne voulait pas d’un mariage arrangé, fréquent à cette époque, comme le montre ce passage, dont une phrase peut sembler prémonitoire : « Il me semble que je n’aurais jamais eu assez de courage ou assez d’insouciance pour consentir à consacrer mon existence tout entière à un inconnu que le hasard m’aurait fait rencontrer et les convenances seules compter. Si la vie est courte quelques fois, elle peut être longue aussi. Faut-il au moins que le jour où deux, on en commence le voyage, l’horizon paraisse serein et la route douce et fleurie. Et si l’on rencontre les amertumes ou les douleurs, faut-il au moins avoir le souvenir du bonheur. Je demandais aussi d’éprouver plus que de l’estime pour celui à qui j’allais me donner. Je voulais pouvoir le lui dire… Tout cela m’a été accordé et je remercie Dieu » (27 mars 1841).
Une correspondance tendre et franche
On est étonné par la maturité d’Amélie dès les lettres des fiançailles. Avec une totale franchise et une grande simplicité, elle aborde tous les sujets de la vie conjugale, les plus importants du couple : leur foi, leur amour, leurs chagrins mais aussi les plus anodins comme la tenue vestimentaire ou la distraction de Frédéric.
Tous les tons sont employés, humour, taquinerie ou reproche, quand elle sent que Frédéric veut lui épargner les soucis de la vie qu’elle entend aussi partager. 4
Écrire pour traverser l’absence
En dix ans, le couple va connaître plusieurs séparations, dont une de trois mois, en 1842, suite à la première fausse couche d’Amélie5. Il y en aura d’autres plus courtes, notamment liées à sa santé pour lui permettre d’avoir un enfant. Durant ces périodes, toujours mal vécues, les époux échangent souvent plusieurs lettres par semaine : c’est le seul moyen de communication à l’époque. Elles nous racontent leur vie au quotidien, une vie ancrée dans un profond amour. Amélie, qui, par nécessité, se repose, suit en détail tout ce que fait Frédéric à Paris. Elle donne son avis, l’encourage lorsqu’il doute de son avenir au moment de la succession de Fauriel dont il était le suppléant, en lui rappelant l’essentiel.6 Il y est bien sûr plusieurs fois question de cet enfant qu’ils souhaitent. Marie naîtra le 24 juillet 1845.
Un amour profond et exigeant
Une relation quasiment fusionnelle va s’établir entre les époux. « Dans la jouissance de l’amour se mêle une souffrance très réelle quand on aime fortement : l’impuissance de pénétrer l’âme de celui qu’on aime. »7 Phrase très forte qui contredit l’image du couple bourgeois du XIXe siècle que l’on a voulu donner d’eux.
Leur courte vie commune mettra un terme à cette correspondance, Dieu n’exauçant pas son vœu : « Pour des époux, c’est un grand bonheur qu’ils meurent en même temps. » 8
Sa correspondance ne se limite pas, bien sûr, à ses échanges avec Frédéric. Les lettres à ses parents sont intéressantes aussi, comme celles écrites après la mort de son mari, auquel elle restera fidèle et dont elle fera vivre la mémoire.9
Christian Dubié, président du Conseil départemental du Cher
1 Voir Ozanam Magazine n° 256 –
2 Léonard de Corbiac en collaboration avec Magdeleine Houssay – Correspondance Frédéric Ozanam et Amélie Soulacroix –
3 Professeur de philosophie au Collège Royal de Lyon, qui a redonné la foi à Frédéric -
4 Lettre du 6 mars 1841 –
5 Frédéric la rejoindra quand il le peut. –
6 Voir « en savoir plus » -
7 Notes d’Amélie après la mort de Frédéric – fragment n° 23 –
8 Lettre du 27 juillet 1842 –
9 Voir Matthieu Bréjon de Lavergnée – Amélie Ozanam – Une vie 1820–1894
Incertitude : réponse
d’Amélie à la lettre de Frédéric du 27 juillet 1844
« Je trouve tes réflexions sur l’incertitude dans laquelle le bon Dieu nous place si souvent bien excellentes et bien dignes d’être méditées. Mais, cher ami, tu sais bien que ce que je désire par-dessus tout en ceci, c’est de te voir dans une position digne de toi, dans une position qui te donne plus de liberté pour faire plus de bien. Certainement je jouirai aussi bien qu’une autre des avantages que donne plus de fortune, mais que cela ne te tourmente pas. Lorsque je me suis mariée je savais fort bien que ce n’était pas la fortune qui me rendrait heureuse. Je l’ai mis (sic) en dernier dans les choses que je désirais : je voulais mieux. Je l’ai eu et plus encore que je ne savais, ainsi je n’ai aucun droit à vouloir le reste. S’il arrive par surcroît je remercierai Dieu ; si non, j’aurai bien assez à le bénir de tout ce qu’il m’a donné. »
