Ozanam : « Cet humble poste pour servir mes semblables »
Frédéric Ozanam a l’humilité du doute. Mais, loin d’en faire une faiblesse, ce trait de caractère lui donne la force de mettre sa vie en accord avec sa foi. Par Christian Dubié, Président du CD du Cher
Un jeune homme « passé par les tortures du doute »
Le bouillant jeune homme écrivant des « réflexions sur la doctrine de Saint-Simon » (1831) et les adressant, en toute modestie, à Chateaubriand et Lamartine, est aussi celui qui avoue ses défauts dans une lettre à son ami Materne. « L’orgueil et tout ce qui s’ensuit : amour des éloges, difficultés à reconnaître mes fautes, quelquefois un peu de hauteur. Quant à l’impatience, elle n’agit guère qu’envers mon petit frère qui l’excite fort souvent. Quand je dis faiblesse, j’entends respect humain, le peu de force pour tenir une résolution prise, etc., et quand je dis scrupule, méticulosité, je veux dire dans les choses spirituelles et dans l’exactitude des écrits. » (5 juin 1830)
C’est aussi celui qui, avant de trouver la foi grâce à son professeur de philosophie, avoue avoir connu le doute : « Je doutais (…) et cependant je voulais croire, je repoussais le doute, je lisais tous les livres où la religion était prouvée et aucun (…) ne me satisfaisait pleinement. » (idem)
Ozanam s’en souviendra toujours et ce sera pour lui un motif d’indulgence. « On m’accuse quelquefois d’un excès d’indulgence et de douceur envers ceux qui ont le malheur de ne pas croire. Lorsque, comme moi, on a passé par les tortures du doute, il y aurait cruauté et ingratitude à se montrer sévère pour ceux à qui Dieu n’a pas fait encore ce don inestimable de la foi. »
Servir humblement
Pour comprendre le fondement de l’humilité d’Ozanam, sans doute faut-il s’arrêter sur sa promesse. « Je promis à Dieu de vouer mes jours au service de la vérité qui me donnait la paix. » Dans sa biographie de 1856, le p. Lacordaire note : « Il professait sa foi avec la courageuse humilité du chrétien qui connaît le peu qu’est le monde et, si le respect des âmes lui inspirait une exquise modération, le respect de la sienne s’élevait au-dessus de toute crainte humaine. » Ozanam est humble parce qu’il veut servir Dieu avec humilité : « il semble qu’il faille voir pour aimer, et nous ne voyons Dieu que des yeux de la foi, et notre foi est si faible ! »
L’humilité dans la charité
Ce qui peut passer chez lui pour un manque de confiance en soi est la crainte de ne pas être à la hauteur vis-à-vis des autres et du sens qu’il veut donner à sa vie. Ainsi en est-il de son hésitation à se marier : « Je prie surtout pour qu’ [une épouse] vienne avec une âme excellente (…) qu’elle vaille beaucoup mieux que moi (…) Qu’elle soit fervente parce que je suis tiède dans les choses de Dieu. » Quant à sa vocation de prêtre, il demande conseil à son ami Lallier : « L’abbé Lacordaire sera de retour dans quelques mois et alors, si d’anciennes velléités se changent en vocation réelle, j’essayerai d’y correspondre. Ma perplexité est très grande (…) Je ne me connais pas encore assez pour me résoudre. Donnez-moi vos conseils. » (25 décembre 1839)
On sait par son épouse que le « brillant professeur » passait un temps considérable à préparer ses cours car il avait peur de ne pas délivrer le message qu’il voulait faire passer. Il évoque aussi son « extrême difficulté d’écrire » dans une lettre au p. Lacordaire (26 août 1839). Dans la « Prière de Pise », à la fin de sa vie, il parle de ses « projets d’étude où se mêlait peut-être plus d’orgueil que de zèle pour la vérité ? »
Il aborde, enfin, la question sociale avec un constat de faiblesse. « Dieu sait, avec la faiblesse naturelle de mon caractère, quels dangers aurait eus pour moi la mollesse des conditions riches ou l’abjection des classes indigentes. Je sens aussi que cet humble poste où je me trouve me met à portée de mieux servir mes semblables. »
Exclure l’orgueil
Ozanam n’hésite pas, non plus, à inciter ses confrères de la Société de Saint-Vincent-de-Paul à l’humilité dans la charité : « l’humilité est obligatoire pour les associations comme pour les individus, et l’appuyer, par l’exemple de saint Vincent de Paul qui réprimanda sévèrement un prêtre de la Mission pour avoir nommé la Compagnie : notre sainte Compagnie. (…) Il faudrait ensuite insister sur les caractères de l’humilité et montrer comme elle doit exclure cet orgueil collectif. » Le mot apparaît deux fois en quelques lignes !
En conclusion, « ce qu’on peut retenir de la personne d’Ozanam, c’est son effort constant pour mettre sa vie et son action en conformité avec sa foi. » (Christine Franconnet – Lyon janvier 2008). C’est grâce à cela qu’il sera toujours tolérant. « Apprenons à défendre nos convictions sans haïr nos adversaires, à aimer ceux qui pensent autrement que nous, à reconnaître qu’il y a des chrétiens dans tous les camps et que Dieu peut être servi aujourd’hui comme toujours ! »