À Rome, la joie fragile d’un peuple en marche
À Rome, la joie fragile d’un peuple en marche
Portés par des ateliers, des temps spirituels et une grande procession, les pèlerins ont vécu une deuxième journée riche en fraternité et en rencontres inspirantes. Par Valérie-Anne Maitre, rédactrice en chef
Spectaculaires à Rome
Dans quelques minutes, l’ancien réfectoire de la Trinité-des-Monts s’emplira de monde. Alors, comme toujours avant chaque représentation, la troupe des Spectaculaires fait corps pour se donner du courage. Martine, Eva, Franck et les autres se serrent et se tiennent par les épaules. Ce samedi matin, ils jouent devant un public spécial : les autres pèlerins du Jubilé des Pauvres. C’est l’un des ateliers proposés pour les 1 500 participants à ces rencontres fratenelles organisées par Fratello. « La troupe des Spectaculaires est composée de personnes en fragilité, ils viennent de Sisteron et sont liés au Café Sourire de la ville. » indique Mgr Xavier Malle. L’évêque du diocèse de Gap et d’Embrun (05) a intégré les membres de la Société de Saint-Vincent-de-Paul au groupe diocésain. « Avec le Secours catholique et une association locale, l’Oasis. Ils organisent déjà un déjeuner partagé pour la journée des pauvres, ils font tous un travail fantastique ! »

Durant moins d’une heure, Eva, Martine, Franck et les autres déclament des textes de Prévert, Rimbaud devant un public curieux et conquis. Les applaudissements nourris marquant la fin de la représentation sont amplement mérités. Pendant ce temps dans la cour, René participe à la flash mob avec d’autres pèlerins. « C’est super touchant de faire des choses avec les autres ! » René est membre du groupe de Nancy (54) qui comporte une petite quinzaine de bénévoles ou d’accueillis par la Société de Saint-Vincent-de-Paul. « C’est vraiment important de faire les choses en diocèse, fait remarquer Agnès, présidente du Conseil départemental de Nancy. On est ensemble, ça resserre les liens. » Agnès s’interrompt pour répondre à Palmyre qui vient lui raconter son temps d’adoration des reliques de sainte Thérèse. « Eh bien ! Tu sais pourquoi tu es venue ! » Palmyre a le sourire jusqu’aux oreilles, comme les autres participants. Malgré la fatigue de la veille, les consignes d’horaire, de déplacement… Il faut dire que certains ont un peu plus de mal à se déplacer. Les accompagnateurs manipulent les fauteuils roulants, tendent le bras pour soutenir la marche sur les pavés romains et restent vigilants sur les trottoirs. « C’est vrai la circulation à Rome, c’est pas ça quand même… » souffle un participant pourtant rompu aux rues de Paris.
Les fruits d’un pèlerinage
Dans la cour, l’équipe de la flash mob laisse la place à une frêle jeune fille pour un mini concert improvisé. Sa voix cristalline s’élève dans l’air pour louer Marie. C’est Monroe, franco-américaine de 17 ans et jeune lauréate de l’émission La France a un incroyable talent. « Je suis heureuse de faire ça, je chanterai cet après-midi place Saint-Pierre aussi. » La jeune fille poursuit ensuite le récital dans l’église en entonnant quelques airs méditatifs alors qu’une dizaine de prêtres donnent le sacrement de réconciliation. « Sans trahir le secret, j’ai vu de belles choses comme des premières confessions. » raconte Mgr Malle. Comme l’évêque Agnès constate elle aussi que le Jubilé porte ses fruits. « Trois personnes m’ont demandé de les inscrire pour recevoir la confirmation ! Et en janvier, nous partagerons, avec le diocèse, tout ce que nous avons reçu ici. »
Au même moment, Catherine Philippe, animatrice en pastorale du Conseil national de France dépose les intentions de prières envoyées de toute la France devant les reliques la petite sainte de Lisieux.

Vers midi, alors que la messe va débuter en l’église Sant’andrea Della valle, c’est Vanessa et Antoine, deux bénévoles de Paris, qui se disent eux aussi témoins de beaux moments. « J’ai l’impression d’être dans une grande vague d’amour, commence Vanessa. Il y a une vraie solidarité et fraternité. Tous aident pour les fauteuils, les trajets… Et pourtant, on ne se connaissait pas tous ! » Antoine abonde, lui qui participe habituellement à des maraudes dans Paris reconnaît que « vivre les choses avec les personnes c’est pas pareil ! »
Passer la Porte sainte
Avec leurs gilets bleus, les membres (bénévoles ou personnes accompagnées) de la Société de Saint-Vincent-de-Paul se reconnaissent facilement. « Vous êtes d’où ? » « Mulhouse ! », « Nous c’est Paris ! » A quelques minutes de se lancer dans la marche vers la Porte sainte, les équipes se regroupent devant le château Saint-Ange. « Poussez pas ! On va tous passer ! »

L’équipe de Mulhouse reste groupée. « Il ne faut pas se perdre » commente Mireille. Supervisant son groupe, Geoffrey veille au confort de chacun et va chercher les retardataires. Il commente le trajet pour Laura qui ouvre des yeux immenses. « Mais, alors, le pape habite ici ? Est-ce qu’il nous voit ? » La jeune femme découvre, ravie, les lieux qu’elle regarde habituellement à la télé. Même la rudesse des contrôles de sécurité pour entrer dans la basilique n’entame pas sa joie. Le groupe passe la Porte sainte et tombe nez à nez avec La Pieta de Michelange. « C’est beau ça ! Il faut prendre une photo » ordonne Michel à la personne qui pousse son fauteuil. À côté, Helena a dégainé son portable. Elle filme les voûtes de la basilique et commente à voix haute. « C’est magnifique, c’est magnifique ! Je vous embrasse ! » La vidéo sera bientôt envoyée à sa famille et ses amis. Saisie par l’émotion, Helena laisse couler quelques larmes tandis que Mireille et Laura ne savent plus où regarder. « On vient de passer la Porte sainte, rappelle Geoffrey. Je vous propose qu’on prenne un temps pour prier ensemble. » Assis dans une chapelle, le groupe repose son âme et ses pieds. Chacun savoure en silence ce moment unique dans l’une des plus belles basiliques du monde. Mais bientôt, il faut repartir, la procession mariale va démarrer sur le parvis. Moment d’inquiétude, Mireille a perdu son téléphone. C’est Geoffrey qui le retrouve finalement, posé à côté d’un bénitier. Ouf !

Cheminer avec la Vierge de tendresse
Dehors, la nuit est tombée et la fatigue se fait sentir pour tous. Pourtant, ils ont encore un moment fort à vivre : suivre la statue de la Vierge de tendresse, celle qui a voyagé dans le monde durant ce Jubilé. Recouverte d’un manteau confectionné par toutes les communautés du monde, elle avance, suivie de milliers de pèlerins tenant un lumignon à la main. Cette vierge a une importance particulière pour Antony. Le mois dernier à Nancy, « c’est moi qui était responsable de la porter ! » Le jeune homme a transporté la statue jusque dans le Café Sourire de l’équipe de la Société de Saint-Vincent-de-Paul. Lui ne se demande pas ce qui va changer dans sa vie après ce pèlerinage. « C’est déjà fait ! Je suis libéré, délivré, comme la reine des neiges ! » dit-il dans un grand éclat de rire.
Tandis que la procession s’avance sur la place, Mireille, Laura, Jean-Paul et les autres choisissent de rester assis. Ils écoutent avec attention les chants et témoignages. « Je souffrais d’addictions, raconte un jeune homme. Mais je me suis placé sous la protection de l’Immaculée Conception. » « Amen, commente Laura. C’est beau ! » Un lumignon dans une main, la réplique de la statue dans l’autre, la jeune femme est encore émue de ce qu’elle vient de vivre. « Je vais repartir d’ici avec les bonnes choses que j’aurai apprises sur Dieu. »

Mireille aussi pense à l’après, à ce qu’elle va raconter à ses cinq enfants. Jetant un œil sur la vaste place Saint-Pierre déjà prête pour la messe de dimanche, elle ajoute « Ben demain, on a interêt à venir tôt ! »
Dimanche, après la messe, les pèlerins se retrouvent pour un grand banquet fraternel. Et une question leur brule les lèvres : Léon viendra-t-il à leur rencontre ?