Des sourires face aux murs de la prison
Contre l’isolement : nos Cafés Sourire, tout simplement
Combattre l’isolement à grands coups de sourire, c’est le pari de ces lieux, gratuits et ouverts à tous, qui font la fierté de notre association. Cafés, accueils, vestiaires, bibliothèques… quelle que soit leur forme, ils répandent l’esprit de la Société de Saint-Vincent-de-Paul sur tout le territoire. Par Marianne Aubry-Lecomte, pigiste
Depuis que mon mari est décédé, je vis seule donc cela me fait du bien de venir ici », raconte Arlette qui prend son petit-déjeuner avec deux habitués du Café Sourire de Nancy (Meurthe-et-Moselle). Ses comparses viennent de la rue mais un besoin identique de chaleur humaine les relie. En effet, l’isolement touche toutes les couches de la population même si, comme le révèle le rapport Solitude 2023 de la Fondation de France, les plus précaires y sont davantage exposés.
L’association Petits Frères des Pauvres, qui publie régulièrement son baromètre sur la solitude et l’isolement, dénombrait 530 000 personnes en situation de mort sociale en 2021 (300 000 en 2017). Et l’inflation a encore aggravé cette situation. Effectivement, quand il s’agit d’arbitrer entre ses besoins premiers et les sorties, repli sur soi est proche.
À Sisteron et partout en France
Face à ce fléau, les bénévoles agissent au quotidien en déclinant une idée originale née il y a une dizaine d’années dans le sud de la France. C’est lors des Diaconia 2013, rencontres organisées par l’Église pour lutter contre l’exclusion sociale, que Didier Bohl, président du Conseil départemental de la Société de Saint-Vincent-de-Paul des Alpes-de-Haute-Provence, a décidé de passer à l’action en concevant le premier Café Sourire. « Je suis parti du constat que les structures existantes n’étaient jamais au bon endroit au bon moment. J’ai donc imaginé un lieu tourné vers l’écoute où n’importe qui pourrait venir partager un café puis serait aiguillé vers l’association ou le service adéquat », se remémore-t-il.
Le temps de réunir les équipes nécessaires et de trouver un local, le tout premier Café Sourire a ouvert en 2016 à Sisteron. Très vite une vingtaine de personnes s’y sont rendues chaque matin, puis d’autres Cafés ont ouvert dans la région. « Constatant le succès de ces initiatives, la Société de Saint-Vincent-de-Paul a décidé de promouvoir l’idée au niveau national », raconte encore Didier Bohl. Depuis, il distille les clés de cette bonne idée et soutient les Conférences désireuses de rejoindre l’aventure.
L’écoute avant tout
Aujourd’hui, plus d’une trentaine de Lieux Sourire ont vu le jour en France et dix sont en cours de création. S’ils peuvent prendre différentes formes, le mot d’ordre est le même pour tous : l’écoute. À Chartres (Eure-et-Loir), il s’agit d’une Halte Sourire, ouverte les mercredis après-midi, où s’organisent une distribution alimentaire, des ateliers dessin ou chant et même un vestiaire. À Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), bénévoles et accueillis jouent à des jeux de société et jardinent le samedi matin. À Sisteron, il y a aussi un Bouquin Sourire et une Camionnette Sourire itinérante. À Angers (Maine-et-Loire), un atelier couture a été mis en place un jeudi sur deux, etc.
Les activités sont cependant toujours un prétexte à la parole. Nombreux sont les bénévoles de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, tel le père Thomas Chassaing, vicaire dans le Pôle Missionnaire de Melun (Seine-et-Marne), aiment à citer le pape François quand ils évoquent l’esprit des Cafés Sourire : « Donner gratuitement un peu de son temps pour écouter les gens est le premier geste de charité. » Un bénévole de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) témoigne d’ailleurs de l’importance de l’écoute en racontant ce jour où un homme est entré en disant : « Il faut absolument que je parle à quelqu’un car je crève de solitude. »
Mais écouter n’est pas chose aisée, et tout l’art consiste à recevoir la parole sans jamais juger. Les personnes accueillies témoignent des bienfaits de cette oreille attentive. Ainsi, à Chartres, une jeune femme souligne que ce qu’elle apprécie est « la grande humanité des bénévoles et de ne jamais se sentir exclue ou anormale ». Elle ajoute que cette bienveillance en fait « un lieu unique qui ne ressemble pas aux autres associations ou services. On a l’impression d’être en famille. »
Un lieu unique, on a l'impression d'être en famille
Un formidable maillon social
L’idée première des Cafés Sourire était d’en faire une sorte de « syndicat d’initiative » associatif et social, raconte Didier Bohl. Partout, les bénévoles coopèrent avec les travailleurs sociaux ou des centres de soins. À Nancy, les responsables ont créé des fiches recensant les numéros et les adresses utiles. À Chartres, Patrick Blot, responsable du lieu, travaille avec une assistante sociale, un centre de santé, des infirmières, le centre d’action communal, le 115… Cet apport est capital pour les communes qui sont nombreuses à soutenir ces projets comme celles de Vaucresson (Hauts-de-Seine) ou de Chalon-sur-Saône.
Un accueil inconditionnel
L’inconditionnalité de l’accueil est une autre dimension fondamentale des Lieux Sourire même si la question de réserver certains créneaux à un type de population pour faciliter les échanges peut aussi légitimement se poser par endroits. « Pour l’instant, tous les publics se mélangent bien », constatent les équipes. Dans la plupart des Cafés, on retrouve aussi bien des personnes âgées du quartier, des mères seules avec leurs enfants, des migrants, des jeunes de la rue ou en situation de précarité… Grâce à une petite fille trisomique qui vient avec ses parents au Café Sourire de Saint-Cloud, « même les grognons retrouvent leur bonne humeur », s’amuse un des bénévoles. Même ambiance au café de Nancy qui accueille entre 30 et 50 personnes, quatre matins par semaine, dans une grande convivialité et une joie insufflée par Chantal, la responsable du lieu.
Être ensemble, tout simplement
Si bien que, parfois, il n’est pas aisé de savoir qui est bénévole et qui est accueilli, tant il s’agit d’un échange sincère. C’est pour cette raison aussi que cette formule attire les nouveaux bénévoles. Certains ont commencé à venir comme accueillis avant de s’engager à leur tour. Comme cette femme vivant près du Café Sourire de Meximieux (Ain) et qui cherchait du soutien après la perte de son enfant. Ou encore de cet ancien sans-abri ayant à cœur d’aider au Café de Nancy avant de se rendre à son travail. Les lieux ouverts le week-end attirent aussi beaucoup de jeunes qui y voient une porte d’entrée vers l’engagement. C’est le cas à Nieppe (Nord) où la majorité des bénévoles sont actifs.
Tous témoignent du bonheur qu’ils ressentent à venir. « Par cet accueil, nous vivons notre foi de façon personnelle, en cohérence avec nos valeurs. Dans ce don, nous recevons bien plus que nous donnons », se réjouit Thibault Prouvost, responsable de l’Accueil Café de Melun. S’il n’affiche pas le mot Sourire, il en porte l’esprit en accueillant particulièrement les familles qui rendent visite aux détenus du centre de détention tout proche.
Sur RCF Reportage avec la Camionnette Sourire de Sisteron