La visite à domicile, fondement de la première Conférence

Venir au cœur de l’intimité des personnes en précarité est une action fondatrice de la Société de Saint-Vincent-de-Paul. Retour sur l’histoire des débuts de cette pratique initiée par Frédéric Ozanam lui-même.

soeur rosalie

Le 23 avril 1833, « l’objet de la première rencontre était la visite à domi­cile des familles pauvres ». L’idée en reve­nait à Frédé­ric Ozanam. Lorsque les jeunes confrères avaient voulu faire une œuvre de charité, M. Bailly les avait envoyés voir le Père Olivier, curé de Saint-Étienne-du-Mont. Celui-ci leur avait proposé de faire le caté­chisme aux enfants pauvres, propo­si­tion qu’ils avaient décli­née. En effet, après les critiques qu’ils avaient essuyées de la part de leurs cama­rades athées, il leur parais­sait préfé­rable de privi­lé­gier « le pain du corps par rapport au pain de l’âme ».  

UNE INSPI­RA­TION FAMI­LIALE ?

Aucun n’avait une connais­sance person­nelle du contact avec les pauvres. D’où était donc venue cette idée ? La visite à domi­cile se pratiquait dans d’autres œuvres. Pour Ozanam, son père la pratiquait, quand il allait soigner gratui­te­ment les pauvres – c’est d’ailleurs chez une famille pauvre qu’il fera une chute mortelle –, et sa mère faisait partie de « l’œuvre des veilleuses », dont elle était respon­sable pour sa paroisse. Cette œuvre était compo­sée d’ou­vrières pauvres, qui allaient passer la nuit auprès de femmes malades, qui n’avaient pas les moyens d’al­ler à l’hô­pi­tal. C’est peut-être ce qui l’avait inspiré. Si le prin­cipe était accepté par tous, « encore fallait-il s’en­tendre sur les moda­li­tés concrètes : quels seraient les pauvres à visi­ter, quels secours leur appor­ter, et avec quelles ressources ? » M. Bailly, qui prési­dait la séance, d’ac­cord avec ce choix, les adressa à Sœur Rosa­lie, qu’il connais­sait. Devaux devait la contac­ter.  

SŒUR ROSA­LIE EN PRÉCUR­SEUR

La Sœur œuvrait dans le quar­tier Mouf­fe­tard, c’est-à-dire non loin de la Sorbonne où habi­taient quatre confrères sur six, dont Ozanam. Un ancien admi­nis­tra­teur du bureau de charité de l’ar­ron­dis­se­ment pria la Sœur « de mettre la Confé­rence en rapport avec celles [des familles] qu’elle suppo­sait mieux dispo­sées à accueillir les visites de nos novices en cette pratique de la charité ». La semaine suivante, chacun avait une famille pauvre à visi­ter, choi­sie par lui et pour lui. Ces jeunes allaient trou­ver des situa­tions qu’ils n’ima­gi­naient pas : « Des deux côtés d’un ruis­seau infect, s’élèvent des maisons de cinq étages, dont plusieurs réunissent jusqu’à cinquante famil­les… Au fond d’une sorte de cave, habi­tait une famille sans autre couche qu’un peu de paille, sur le sol décar­re­lé… Dans la chambre voisine, une femme avait perdu trois enfants morts de phti­sie (tuber­cu­lose pulmo­naire) et en montrait avec déses­poir trois autres réser­vés à la même fin. » La famille qui échut à Ozanam offrait le spéci­men d’une misère morale pire encore que d’autres. « Le ménage se compo­sait d’une mère qui s’épui­sait de travail pour faire vivre cinq enfants, et d’un mari ivrogne qui lui prenait ce qu’elle gagnait pour boire… Elle était arri­vée au dernier degré de la détresse et du déses­poir, quand Ozanam la décou­vrit. Il ne tarda pas à recon­naître que le mariage n’exis­tait pas… Ozanam le fit consta­ter judi­ciai­re­ment, libéra la femme, et, moyen­nant une quête, lui procura le moyen de retour­ner dans sa Bretagne, avec ses deux plus jeunes enfants, en plaçant les deux aînés dans les ateliers de M. Bailly. C’était bien la double assis­tance maté­rielle et morale qu’avait recom­man­dée le chari­table président. »  

« La visite à domi­cile demeu­rera l’ac­tion essen­tielle des jeunes confrères et celle qui leur permet­tra une défé­rence envers les pauvres, conforme à leur foi »

LA CONFÉ­RENCE EN SOUTIEN

Une autre ques­tion était celle des ressources. « Il fut décidé que la Confé­rence ferait la charité à ses frais et que chacun contri­bue­rait dans la mesure de ses forces, mesure dont il était seul juge… Une quête à la fin de chaque séance devait remplir ce but. Elle fut faite à la fin de la première séance par M. Devaux, dési­gné comme tréso­rier. » Les fonds prove­naient aussi, pour partie, de la « Tribune Catho­lique », jour­nal de M. Bailly, auquel colla­bo­raient les jeunes confrères, dont Ozanam, moyen­nant rému­né­ra­tion. Quant au secours à appor­ter, il fut décidé de ne pas le faire en argent mais en nature, au moyen de bons four­nis, au départ, par la Sœur­Ro­sa­lie, bons de viande, de pain et de bois. Ainsi, si d’autres actions vien­dront plus tard, la visite à domi­cile demeu­rera l’ac­tion essen­tielle des jeunes confrères et celle qui leur permet­tra une défé­rence envers les pauvres, conforme à leur foi. C’est ce qu’écrira Ozanam : « Quand vous redou­tez si fort d’obli­ger celui qui reçoit l’au­mône, je crains que vous n’ayez jamais éprouvé qu’elle oblige aussi celui qui la donne. Ceux qui savent le chemin de la maison du pauvre, ceux qui ont balayé la pous­sière de son esca­lier, ceux-là ne frappent jamais à sa porte sans un senti­ment de respect. » (Mélanges 1848 )

« Oh ! combien de fois moi-même accablé de quelque peine intérieure, inquiet de ma santé mal raffermie, je suis entré plein de tristesse dans la demeure du pauvre confié à mes soins, et là, à la vue de tant d’infortunés plus à plaindre que moi, je me suis reproché mon découragement, je me suis senti plus fort contre la douleur, et j’ai rendu grâce à ce malheureux qui m’avait consolé et fortifié par l’aspect de ses propres misères ! Et comment, dès lors, ne l’aurais-je pas d’autant plus aimé ? »

F. Ozanam – aux confrères de Florence 1853

Devenir bénévole

Nous avons toujours besoin de mains supplémentaires !