Ozanam: une foi ardente à l’épreuve d’une société déchristianisée

Après les persécutions de la Révolution et la clandestinité, l’Église que connaît Frédéric Ozanam dans sa jeunesse, même si elle est sortie de l’ombre, ne rayonne plus. Beaucoup ont abandonné la pratique religieuse. C’est dans l’Évangile que Frédéric va puiser les ressources de la foi qui le pousse à agir. Par Christian Dubié, président de la SSVP du Cher

Frédéric Ozanam

Même si la pratique reli­gieuse est vigou­reu­se­ment encou­ra­gée par le régime de Charles  X, elle est repliée sur elle-même et n’at­tire plus les jeunes. En outre, elle est attaquée par des courants athées et anti­clé­ri­caux, héri­tiers des idées du 18e siècle.
Voilà ce que dira le père Lacor­daire, contem­po­rain et ami d’Oza­nam : « je sortais du collège à 17 ans avec une reli­gion détruite et des mœurs qui n’avaient pas de frein… Rien n’avait soutenu notre foi, dans une éduca­tion où la parole divine ne rendait qu’un son obscur. » Et Ozanam, lui-même, écrira : « À force d’en­tendre parler d’in­cré­dules et d’in­cré­du­lité, je me deman­dais pourquoi je croyais. Je doutais et cepen­dant je voulais croi­re… »1 Frédé­ric se souvien­dra toute sa vie de « l’hor­reur de ces doutes ».

C’est alors que va inter­ve­nir un person­nage éton­nant, qui jouera un grand rôle dans sa vie, l’abbé Noirot : « un prêtre philo­sophe me sauva, il mit dans mes pensées l’ordre et la lumière, je crus désor­mais d’une foi rassu­rée, et touché d’un bien­fait si rare, je promis à Dieu de vouer mes jours au service de la vérité qui me donnait la paix » (Confé­rence de 1849).
Fort de cette certi­tude, sa foi va s’étayer.

Le monde sait maintenant que seul le christianisme est vivant

Frédéric Ozanam

À la lumière de l’Évan­gile

Frédé­ric affronte les Saint-Simo­niens, qui reprochent aux jeunes catho­liques de ne rien faire pour les pauvres et les déshé­ri­tés et de pratiquer une reli­gion morte. Lucide, Ozanam leur donne raison et c’est le début de la Société de Saint-Vincent-de-Paul (1833). Admi­rant le père Lacor­daire, il convainc, avec quelques cama­rades, l’ar­che­vêque de Paris de le lais­ser prêcher des confé­rences de Carême à Notre-Dame et remplit la cathé­drale.

« Le monde sait main­te­nant que seul le chris­tia­nisme est vivant »,  écrit Frédé­ric, « il a vu que nulle doctrine ne pouvait atti­rer plus nombreux autour d’elle les flots de la géné­ra­tion présente que la doctrine de Jésus-Christ… le chemin de nos cathé­drales n’est plus inconnu aux hommes de nos jours… ils ont appris ce qu’était un prêtre » (jour­nal L’Uni­vers,  1835). L’en­thou­siasme d’Oza­nam et le père Lacor­daire vont le mener à un chris­tia­nisme agis­sant au service des pauvres. Dans une posture vincen­tienne, il dit d’eux : « Vous êtes nos maîtres et nous serons vos servi­teurs, vous êtes pour nous les images sacrées de ce Dieu que nous ne voyons pas, et ne sachant pas l’ai­mer autre­ment, nous l’ai­me­rons dans vos personnes. »2 Ainsi, le Christ conduit aux pauvres et réci­proque­ment.
Sa vision de la société de son temps découle de cette lecture de l’Évan­gile. Dans la même lettre, il évoque les luttes sociales et engage les jeunes catho­liques à s’in­ter­po­ser : « notre âge de jeunes gens, notre condi­tion médiocre nous rendent plus facile ce rôle de média­teurs que notre titre de chré­tien nous rend obli­ga­toire. Voilà l’uti­lité possible de notre Société de Saint-Vincent de Paul. » Il ne se situe pas dans une pers­pec­tive de lutte des classes, loin de là. C’est là l’ori­gine de sa pensée sociale. Dans L’Ère nouvelle, en 1848, Frédé­ric Ozanam écrira : « il n’y a, en effet, de doctrine puis­sante en reli­gion, non plus qu’en philo­so­phie, qui se soit rési­gnée à s’en­fer­mer dans les consciences, qui n’ait aspiré à faire l’édu­ca­tion des peuples, et en ce sens l’Évan­gile est aussi une doctrine sociale. » Expres­sion prémo­ni­toire, mais qui s’adresse avant tout aux Saint-Simo­niens, et contre-pied de l’Église dans laquelle il a grandi.

 

Une voca­tion de baptisé

Il serait incom­plet de trai­ter ce sujet sans parler de la vie person­nelle de Fréde­ric Ozanam. Frédé­ric a hésité entre prêtrise et mariage, d’un côté le modèle de Lacor­daire, de l’autre, le refus d’un « égoïsme à deux ». Mais lorsqu’il rencontre Amélie et décide de se marier, c’est aussi avec le senti­ment d’ac­com­plir sa voca­tion de baptisé : « Lorsque je sus par hasard de quelle manière cette dernière fois vous vous étiez prépa­rée à rece­voir mes démar­ches… le mystère long­temps inter­rogé de ma voca­tion s’éclair­cit… je vis la compagne tuté­laire de mes années futures ; et je crus entendre ces paroles qui dans l’Écri­ture Sainte sont dites au jeune Tobie ; “N’hé­si­tez plus : car elle vous fut desti­née dès l’Éter­nité ; elle marchera avec vous dans les mêmes chemins, et le Seigneur misé­ri­cor­dieux vous sauvera l’un par l’autre”… »3
Pour Ozanam, le mariage ne sera pas ce qu’il redou­tait, mais l’abou­tis­se­ment d’une œuvre commune au service de la foi.

 

1. Décla­ra­tion de Frédé­ric à Auguste Materne, 5 juin 1830
2. Décla­ra­tion de Frédé­ric à Louis Janmot, 13 novembre 1836
3. Lettre à Mlle Amélie Soula­croix, 1er mai 1841

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