À Rome, les pauvres au premier rang du Jubilé
À Rome, les pauvres au premier rang du Jubilé
Au dernier jour du Jubilé des Pauvres, 1 500 pèlerins de Fratello — dont une soixantaine de la Société de Saint-Vincent-de-Paul — ont vécu une matinée intense à la basilique Saint-Pierre, entre émotion, paroles fortes du pape Léon XIV et banquet fraternel dans les jardins du Vatican. Par Valérie-Anne Maitre, rédactrice en chef
« On va entrer dans la basilique ? »
« Fratello, sortez du rang ! » Il n’est pas encore 7 h ce matin aux abords de la place Saint-Pierre et déjà, et déjà la queue s’allonge pour la messe célébrée dans la basilique. Bonne nouvelle, les 1 500 pèlerins du Jubilé des Pauvres organisé par Fratello ont finalement droit à une entrée dédiée. « On va entrer dans la basilique ? » certains ont un peu de mal à y croire, mais c’est bien ça, la moitié de la nef est réservée aux pèlerins venus de France mais aussi Belgique, Suisse, Luxembourg ou encore Pologne. Parmi eux, 70 personnes environ aux couleurs de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, réparties dans leur diocèse respectifs (Nancy, Gap et Embrun, Paris, Mulhouse, Fort-de-France…) Dehors, des milliers de personnes suivront la messe sur les écrans géants.

C’est le dernier jour du pèlerinage et ce dimanche le réveil a sonné tôt. « 5h du matin, s’exclame un pèlerin parisien, et on n’a pas eu le temps de prendre un café ! » La messe ne commence qu’à 10h, alors il faut patienter un peu. Les pèlerins prennent place sur les chaises en plastique transparent sur lequel est déposé le livret de messe en italien et en anglais. « On peut le garder en souvenir ? » demande Mireille. Membre de l’équipe Don Bosco à Mulhouse (67), elle n’a pas l’habitude d’entendre la messe dans une église aussi grande et richement décorée. Pour ne rien manquer de la célébration dominicale, elle s’est équipée d’une perche à selfie. « Où sera le pape ? Là-bas, sur le podium ? » demande Laura qui compte elle aussi prendre des photos. Le groupe de Mulhouse patiente calmement. Mireille entame la conversation avec sa voisine. « Vous avez quel âge ? Ah ! vous venez de Grenoble ! » Les responsables de fraternité passent dans les rangs pour prendre des nouvelles et faire patienter les groupes. Une volontaire en gilet rose Fratello, se penche vers Laura « Tu voudrais participer au service du banquet après la messe ? On sera en binôme toi et moi, il faut apporter les plateaux avec les assiettes pour trois tables. » Laura hoche la tête, c’est d’accord mais comment est le plateau ? et la cuisine ? La volontaire la rassure « Pas de pression Laura, on fera ça ensemble. »

« Entendez le cri des pauvres ! »
Quelques minutes avant 10h, frémissement dans la nef : le pape est en train d’arriver. Chacun écoute la consigne demandant de ne pas applaudir le Saint-Père. Franck, l’un des comédiens des Spectaculaires (Sisteron) tend le bras pour filmer l’instant sur son portable. Mireille tente une photo, mais la perche à selfie ne suffit pas. « De toute façon, j’ai déjà son portrait chez moi… Oh la la, quand je vais raconter ça à mes enfants et mes petits-enfants ! » Dans l’allée, le pape Léon avance, clôturant la longue procession des diacres, des prêtres et des évêques qui le précèdent. Les pèlerins vivent intensément le moment présent. Margarita, comme d’autres, est saisie par l’émotion. « Évidemment ! s’exclame-t-elle, je suis Sud-Américaine ! »

« Fratelli, sorelli… », la voix du pape résonne dans la basilique. Malgré la barrière de la langue, les pèlerins restent attentifs et recueillis. « Dieu ne nous laisse pas seuls, énonce le pape dans son homélie. L’Écriture est traversée par ce fil rouge qui raconte un Dieu toujours du côté des petits et des orphelins. (…) En cette année de Jubilé, toute l’Église exulte et se réjouit. (…) Oui, face à notre petitesse et notre pauvreté, Dieu nous regarde comme nul autre. »
Léon XIV interpelle ensuite l’assemblée « Combien de pauvretés oppriment notre monde ! Il s’agit avant tout de pauvreté matérielle, mais il existe de nombreuses situations morales et spirituelles qui touchent surtout les jeunes. Et le drame qui les traverse toutes de manière transversale est la solitude. (…) Entendez les cris des pauvres. » Des paroles qui résonnent particulièrement aux oreilles des membres de la Société de Saint-Vincent-de-Paul. « Il a raison, déclare Stéphane, la cinquantaine et accueilli dans une équipe de Paris. Beaucoup de gens sont seuls. Moi, je crois que la solitude est un signe de déshumanisation. » Pour Maxence, bénévole dans une équipe de Paris, les propos du pape rappellent aussi « qu’il ne faut pas enfermer la pauvreté dans une seule catégorie sociologique (la précarité). Finalement, c’est aussi à l’intérieur de toutes ces pauvretés que l’on oublie, qu’on découvre le pauvre qui est en nous. »

« Le pape déjeune avec nous ? »
La messe s’achève et les pèlerins sortent en file indienne de la basilique pour participer au banquet fraternel, avec quelques questions essentielles : « Qui a cuisiné ? Et est-ce que le pape déjeune avec nous ? » Aucune certitude sur la participation du souverain pontife répond une volontaire, « Il doit déjeuner de son côté sûrement. » En réalité, en cette Journée mondiale des Pauvres, le pape participe également à un déjeuner fraternel avec des personnes en situation fragile dans la salle Paul VI et servi par des Lazaristes (Congrégation de la Mission).
Dehors, les pèlerins de Fratello passent devant le poste des gardes suisses et longe la basilique. « Eh ! Mais on ne va jamais de ce côté ! » fait remarquer un bénévole. La marche est un peu rude, il faut gravir la petite colline qui mène… aux jardins du Vatican. Unis dans l’effort, les pèlerins poussent les fauteuils roulants, sans prêter attention aux parterres bien taillés. Soudain, c’est là ! Sur une petite esplanade devant la réplique de la grotte de Lourdes. Les tables sont dressées, une petite troupe attend : personnes accompagnées, bénévoles, prêtres, ils serviront les convives du banquet.

« Vous, c’est table jaune et vous, c’est vert » ordonnent des volontaires. Laura, tablier vert déployé devant elle, attend de servir les plats. Soudain un bruissement… Un homme en blanc vient d’arriver ! Les portables se tendent. Le pape Léon XIV vient saluer les pèlerins. Après avoir remercié les organisateurs en italien, en anglais et en espagnol, il s’adresse aux convives en français : « La fraternité, c’est la vie ! » Applaudissements, le groupe des gens du voyage entame une chanson de louange. « C’est un privilège d’avoir vu le pape, témoigne l’un d’eux. Ce pèlerinage était dur, presque 12 km par jour, mais c’est la plus belle chose que j’ai faite. »
Assis devant son assiette de lasagnes, Jean-Marc savoure le moment. « Moi j’aime bien ce Jubilé, j’ai parlé à des gens, j’ai même parlé à un cardinal ! » Bénévole dans l’équipe Don Bosco de Mulhouse, Jean-Marc raconte qu’il est attentif aux personnes isolées. « On va visiter les personnes âgées ou handicapées, on organise des activités pour elles. On voit sur leurs visages qu’elles sont contentes, ça me rend heureux d’aider. »

Dans quelques heures, ce sera le moment de quitter Rome. Encore un long voyage, encore quelques courbatures, mais tous sont heureux de ces quatre jours vécus ensemble. Antony s’apprête à repartir pour Nancy. « J’ai trouvé ce que je cherchais: la paix intérieure, tout ça reste gravé dans mon cœur. Je retiens ces deux moments : passer la Porte sainte et voir le pape. » Pour l’équipe de Mulhouse, il est encore temps de faire quelques visites. Le groupe attend patiemment sur la place Saint-Pierre que Geoffroy réponde à KTO puis filera vers le Colisée. « Certains ont encore envie d’acheter quelques magnets ! » sourit Geoffrey.
Dès lundi chacun, retrouvera ses habitudes et ses obligations mais avec quelque chose en plus. « Oui, le cardinal Bustillo l’a dit l’autre jour, ce pèlerinage est un déplacement intérieur », commente Thérèse, de l’équipe de Paris. Maxence, dont le petit groupe a accueilli au dernier moment un membre de l’APA (Association pour l’amitié), retient cette grande fraternité entre tous. « Tout cela me recharge dans ma foi, nous formons un seul corps ! » Plus loin, Martin, diacre parisien prend une minute dans son service à table pour répondre aux questions : « On repart gonflés à bloc ! »
