Que voulez-vous trouver ?

Ce devait être un weekend tranquille…

Novembre 2014, un vendredi 15 heures.

Cela s’annonçait comme une fin de semaine paisible.

La distribution alimentaire était terminée. Les dernières familles venues chercher, comme elles le font, à l’habitude, trois fois par semaine, l’alimentation pour le week-end, étaient reparties avec un petit mot gentil de la promesse de se revoir lundi.

On pouvait donc, avec le sentiment d’un travail achevé, après avoir relu rapidement sa semaine, et après un rapide coup d’œil sur la semaine à venir, fermer boutique.

Je tournai la clé dans la serrure. Je me dis qu’aujourd’hui, on avait encore beaucoup couru. Comme à l’habitude. Bref, une journée de routine. Quoique… iI y a bien eu cet homme de petite stature, au chapeau de feutrine avec, sur le dos un sac qui devait bien faire la moitié de sa taille. Un fardeau si lourd qu’il le faisait chanceler. Il n’avait rien à me demander. Non rien ! Juste quelques mots échangés avec une expression tout aussi mal assurée que sa démarche. Mais là ce n’était pas le fait du sac…. Lorrain d’origine. Il était seul depuis une semaine. Un chauffard avait heurté et tué son seul compagnon de route : son chien, qu’il tenait en laisse. Celui avec qui il partageait son duvet. Il descendait en Charente percevoir son RSA. Voilà, il y a eu cet homme, François. En y réfléchissant pourquoi ses pas, peu assurés, l’ont-ils conduit précisément dans cette ruelle, devant la Conférence ? De son propre aveu, il n’avait besoin de rien. Rien de matériel certes, mais peut-être venait-il simplement chercher quelqu’un à qui parler. Juste un moment, avant un long week-end. Bon ! On avait échangé un quart d’heure, une demi-heure peut-être ? Je ne sais plus. Il était reparti titubant et visiblement satisfait d’avoir trouvé quelqu’un à qui parler. Je ne le reverrai sans doute plus. Mais cet échange nous avait donné, à l’un et à l’autre, un peu de bonheur et c’était sans doute là l’essentiel avant le repos dominical.

Oui, cela s’annonçait comme une fin de semaine paisible.

Ce genre de moment où, mettant la clé dans la porte, on songe égoïstement à soi et aux siens. Avant même de penser aux autres ! Mais, bon ! N’a-t-on pas couru pour eux toute la semaine !

Oui vraiment, cela s’annonçait comme une fin de semaine paisible, bien méritée.

 

Samedi 15 heures

Appel  des personnes préparant les bouquets à l’église : un homme, en triste état, avec un grand sac à dos, probablement un SDF, dort à l’église. Que faut-il faire ? En l’absence de Pères à la Cure, on demande conseil à la Conférence ! La présence d’un homme est souvent souhaitable et rassurante face à une situation dont on ne sait comment elle peut évoluer.

D’autant que ce n’est pas la première fois que pareille situation se présente. Une fois déjà, nous avions été à la rencontre d’un homme dormant dans l’église, sur son duvet, à même le sol, entre deux rangées de chaises, entre deux points d’appui que constituaient son transistor et sa bouteille de rouge, au demeurant en période d’étiage !

En de telles circonstances, chaque cas est un cas particulier et il n’y a pas de recette applicable par copier/coller. Une seule méthode : aller à la rencontre pour juger de l’état réel de la situation et en mesurer la gravité. Créer dès que possible un climat de confiance pour pouvoir échanger et juger de la possibilité de progresser ensemble vers une solution librement acceptée au problème.

Ce samedi devait être un jour différent !

Était-ce écrit que ce week-end ne devait pas être un week-end ordinaire ? Était-ce écrit que ce week-end, pour être mérité, ne devait pas être pour autant terminé. Ces questions je ne me les pose qu’aujourd’hui car, pour l’heure, qui allais-je trouver dans la maison du Seigneur ?

J’y trouvais un homme en état de fatigue avancée, assis le dos courbé, le regard et la pensée perdus sur on ne sait quoi, tenant dans sa main… son chapeau de feutrine. Sans voir son visage, je le reconnaissais ! Je le croyais parti et voilà que je le retrouvai chez Celui qui me l’avait sans doute envoyé la veille !

– “Alors François, que se passe-t-il  ?”

Aussitôt le regard perdu devint inquisiteur et peut-être quelque peu méfiant : Qui est-il celui qui m’appelle ainsi par mon prénom ?

– “Tu me connais-toi ?”

 “Je ne te connais pas François, mais je t’ai déjà rencontré !… Dis-moi, ça ne va pas bien fort la Lorraine ! Hein ?”

Là il y eut un discret, mais bien réel, sourire sur le visage qui subitement s’éclaircit : Qui est-il celui qui semble me connaître ainsi , qui me connait jusqu’à savoir d’où je viens ?

– “Viens François, je t’emmène à la Conférence. Tu as peut-être besoin de quelque chose et c’est bientôt l’heure du repas…”

Son prénom, sa région d’origine : comme deux mots de passe, deux clés pour ouvrir le cœur et établir un embryon de confiance, socle de tout échange et sans laquelle aucune avancée n’est possible.

On peut discuter, réconforter par des mots, mais il faut aussi être réaliste et se poser les bonnes questions :

– “Où vas-tu dormir ce soir ?”

– “Je ne sais pas ! Je viens de passer deux nuits au local et il n’est pas permis d’y passer plus de deux nuits.”

 

Samedi 16h15. Dieu nous a déjà fait un beau cadeau en faisant se croiser nos routes, mais, sauf à me mettre en relation avec la personne idoine, je crains fort qu’il ne puisse m’aider dans cette délicate recherche d’hébergement, un samedi après-midi à 16h30… Le 115 peut-être ? Pour un logement où ? Avec une réponse dans combien de temps ? Ou alors les gendarmes…

-“Pas les gendarmes, je n’ai pas le droit au logement de passage !”

– “Et alors François ! S’il y a de la place, ce serait idiot de ne pas t’y héberger. Non ?”

– “Allo les gendarmes ? Je suis de la Conférence Saint-Vincent de Paul, je suis avec M. François X. Je lui donne à manger pour le week-end, je demande la possibilité de le loger à nouveau dans l’hébergement d’urgence”

 ” Ce monsieur a déjà bénéficié de cet hébergement. En conséquence de quoi il n’y a donc plus droit. Je contacte l’élu d’astreinte et vous rappelle.”

Merci Mon Dieu de m’avoir mis en relation, même de façon indirecte, avec des personnes qui comprennent l’esprit et la lettre d’une règle. Merci à ces personnes d’avoir su faire la part des choses en permettant de faciliter certaines démarches et d’éviter ainsi l’aggravation d’une situation déjà délicate.

François a ainsi pu rejoindre le local d’hébergement, où nous avons pu discuter une bonne heure et demie et où il a passé la nuit. Seul.

Notre rencontre aurait pu s’arrêter là. Il devait en être autrement et quelque part il devait être écrit que ce ne serait pas un week-end ordinaire…

 

Dimanche 8h30. Visite à François au local d’hébergement. C’est son anniversaire : une confidence parmi tant d’autres faites la veille. Un pain aux raisins à la main, je viens voir comment la nuit s’était passée et surtout la façon dont il envisageait de passer le dimanche et la nuit à venir.

Le dimanche, s’il n’a déjà réservé son hébergement pour la nuit, un routard organisé ne se déplace pas ! Dans le cas contraire, c’est la galère pour trouver un hébergement et la nuit assurée à la belle étoile… Bien que ne disposant pas de serpillère, François avait nettoyé le local, débouché le lavabo. Bref, il avait fait l’entretien des lieux et il s’apprêtait à partir faire la manche.

– “Difficile, François, il y a des habitués qui, bien que ne payant pas de droits de place, apprécient peu les concurrents ! À défaut de l’entrée de la messe, tu peux essayer lors de la sortie de la messe de la Providence à 10h15. Tu devrais être le seul et personnellement j’y serai”.

Et s’il venait et si je l’invitais à venir à mes côtés pour chanter le chant à la Vierge et s’il acceptait ?

Eh bien , il est venu. Jetant un œil hors de la chapelle après la communion, je l’ai vu. Il a hâté le pas. Je lui ai proposé de venir chanter à mes côtés, au milieu de l’assemblée. Il a accepté. Et me voilà accompagnant cet ami d’un jour que certains avaient peut-être vu la veille en triste posture dans l’église Saint-Thomas.

Il s’est débrouillé seul le dimanche.

 

Lundi 8h30. Je le retrouvai faisant la manche à l’entrée de la Poste.

– Pour le repas de midi avant de partir vers le Lude ! me dit-il.

– À midi François tu mangeras chaud. La conférence t’invite à sa table et je te conduirai au Lude.

Après avoir discuté la matinée, nous avons partagé un plat de pâtes et le jambon, sifflé ensemble la bouteille d’eau. Et après avoir troqué le pantalon d’été contre un jean plus chaud, je l’ai conduit au Lude. Il a fait ainsi en 20 minutes ce qui, selon ses calculs d’habitué, lui aurait demandé 8 heures.

Pourquoi Le Lude ? Parce qu’il voulait aller sur la tombe d’un employeur qui, voilà plus quarante années, lui avait offert du bouleau au black pour lui permettre de manger…

Je n’ai plus revu François depuis son départ du Lude.

Le jour de son départ, j’ai eu de ses nouvelles par le CCAS du Lude qu’il avait chargé de me transmettre son bonjour !

Une semaine plus tard, il m’appelait sur le portable d’un SDF des Sables d’Olonne…

 

Il m’étonnerait fort que l’histoire de cette rencontre s’arrête là…

Aussi, Vincentien, toi qui lis ces lignes, si tu croises un jour ce Lorrain, au grand sac et au chapeau de feutre, donne-lui mon bonjour.
Mais surtout, accueille-le. Écoute-le, il te dira ses souffrances, les joies et les peines qu’il porte dans son cœur, qu’il a encore plus grand que son sac, et il se réconfortera aux échanges que tu lui offriras.

Et si ce n’était pas lui en personne qui venait frapper à ta porte, je suis certain que ce sera son frère qui te sera envoyé.

 

Il me reste de cette rencontre une multitude de Pourquoi . Et lorsque je tente d’y répondre, je me sens un peu plus riche d’une richesse immatérielle que je ne soupçonnais pas.

Pour tout cela, Merci mon Dieu !

Dec 2017, LF 72200
BM

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