« L’écoute est une vraie décision intérieure »

Aude Collin anime des forma­tions à l’écoute depuis une quin­zaine d’an­nées, aujour­d’hui en tant qu’in­dé­pen­dante. Elle a décou­vert l’écoute grâce à l’ONG Aux Captifs la Libé­ra­tion avec laquelle elle parti­ci­pait à des tour­nées-rue.

Comment défi­ni­riez-vous l’écoute ?

Il s’agit de permettre à l’autre de dire réel­le­ment ce qu’il a à me dire. Se mettre en posi­tion d’écoute est une vraie déci­sion inté­rieure qui va me dispo­ser à cela. Je me mets en présence de l’autre et j’oriente vers lui mon atten­tion. Par « permettre » j’en­tends aussi « donner la possi­bi­lité ». Je peux mani­fes­ter à la personne ma dispo­ni­bi­lité par des paroles ou par un geste concret : en m’as­seyant, en fermant une porte ou une fenêtre, en me déplaçant avec elle pour lui mani­fes­ter que je suis prête à lui accor­der ce moment. L’autre ne me parlera pas de la même manière entre deux portes, ou à l’ac­cueil d’un espace grand ouvert qui offre peu de confi­den­tia­lité. Ce geste sera ma façon de lui montrer mon impli­ca­tion et l’im­por­tance que j’ac­corde à sa parole. La personne peut commen­cer par tester mon degré d’at­ten­tion comme si elle cher­chait à véri­fier si je vais vrai­ment l’écou­ter et la respec­ter. J’es­saie de le faire « réel­le­ment ». En effet, je peux dire « je t’écoute » sans être vrai­ment là : ma divi­sion inté­rieure peut être perçue par la personne que je rencontre et bloquer sa parole.

Quelles sont les condi­tions d’une écoute de qualité ?

La première chose, c’est de faire de la place en moi-même. Si ma vie est un débor­de­ment de rencontres et d’ac­ti­vi­tés, ou qu’elle est satu­rée par les écrans, je n’au­rai pas cet espace inté­rieur à donner à l’autre. Il est impor­tant, aussi, de me deman­der si je suis la bonne personne pour cette écoute : si je suis en colère ou mal à l’aise, ou si sa situa­tion me touche trop person­nel­le­ment, et qu’elle risque de faire remon­ter trop d’émo­tions en moi, il vaut mieux avoir l’hu­mi­lité de deman­der à quelqu’un d’autre de prendre le relais – d’où l’in­té­rêt de travailler en équipe. Pour bien écou­ter, j’ai besoin de faire tenir ensemble l’écoute de l’autre et l’écoute de mes propres émotions, pensées ou besoins, qui montent en moi au fil de la rencontre. En effet, si je ne suis pas au clair avec ce que je ressens, mon corps peut mani­fes­ter ma réti­cence (mimiques du visage, chan­ge­ments de postu­re…) et cette disso­nance risque de trou­bler la personne qui se confie à moi.

L’écoute est-elle natu­relle ou est-il impor­tant de se former ?

Certaines personnes ont par nature plus de faci­lité à se taire pour écou­ter. Mais l’écoute à mettre en place dans la rela­tion d’aide se travaille. Il y a un art de l’écoute, qui consiste à offrir à son inter­lo­cu­teur des retours qui ne sont ni des réponses ni des ques­tion­ne­ments : par exemple quelques mots de refor­mu­la­tion, ou une expres­sion du visage, qui mani­festent que je suis bien là. Écou­ter est un appren­tis­sage de toute la vie. Je peux être bien ajus­tée un jour, et passer complè­te­ment à côté de l’in­ter­ac­tion le lende­main, ou avec une autre personne. Et heureu­se­ment car l’écoute est profon­dé­ment humaine ! Prendre de temps en temps une jour­née de forma­tion ou parti­ci­per à un atelier permet d’ai­gui­ser en moi cette capa­cité à mieux me mettre au diapa­son de l’autre.

Quelles sont les parti­cu­la­ri­tés de l’écoute dans le cadre du béné­vo­lat ?

Un des points qui demandent beau­coup de vigi­lance est la tenta­tion de la toute-puis­sance du sauve­teur qui peut guet­ter certains béné­voles. 
Respec­ter la liberté de l’autre, et attendre le bon moment demande beau­coup de maîtrise de soi ! On ne force jamais quelqu’un à parler, et, quand les condi­tions ne sont pas réunies, écou­ter est parfois la pire des choses à offrir. 
J’ai besoin de rester atten­tive aux signes que la personne mani­feste. Parfois, elle peut avoir simple­ment besoin de dormir dans un canapé ! Et j’ai besoin de savoir recon­naître quand je ne suis plus dispo­nible, par exemple si une personne arrive à l’heure où je suis en train de quit­ter l’ac­cueil. Cela évitera au béné­vole de se mettre dans une posture de victime, qui risque de susci­ter ensuite celle de sauve­teur puis de bour­reau. Les condi­tions d’une bonne écoute ne sont plus là non plus si des insultes ou de l’agres­si­vité appa­raissent : j’ai alors à reprendre la parole, et repo­ser le cadre néces­saire au bien commun.

Comment aussi mieux s’écou­ter entre béné­voles au sein d’une Confé­rence ?

S’écou­ter au sein de son équipe prend du temps. Si j’en ai conscience, je peux en susci­ter les occa­sions. Les réunions d’équipe sont impor­tantes pour cela. À tour de rôle, je me retrouve alors avec d’autres à écou­ter l’un d’entre nous. Cela sera d’au­tant plus fruc­tueux qu’on a pu se mettre d’ac­cord sur qui prend le rôle d’ani­mer ce partage et devient ainsi le garant de son bon fonc­tion­ne­ment : en préser­vant la prise de parole de l’un au sein du groupe, en conte­nant les irrup­tions de paroles des autres, et en offrant ou favo­ri­sant les « retours » à offrir à celui qui partage quelque chose. Il sera atten­tif à ceux qui inter­viennent trop vite ou pas assez, et pourra sécu­ri­ser un espace à ceux qui choi­sissent de s’ex­pri­mer, par de courtes et perti­nentes refor­mu­la­tions. Ces temps sont essen­tiels pour éviter que les désac­cords, les frus­tra­tions ou les mécon­ten­te­ments ne s’ac­cu­mulent et enve­niment les rela­tions. Ils permettent de relire l’ac­tion commune et de s’ajus­ter. 

Propos recueillis par Sophie le Pivain

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