La force du lien, sur tous les terrains

Si la richesse ne promet pas d’échapper à la solitude, la précarité garantit la fragilisation du réseau relationnel. Pour la Société de Saint-Vincent-de-Paul, cette question du lien social est décisive, aussi bien avec les personnes accompagnées qu’avec tout l’écosystème qui œuvre à leurs côtés. Dossier réalisé par Meghann Marsotto, pigiste.

Si la richesse ne promet pas d’échap­per à la soli­tude, la préca­rité garan­tit la fragi­li­sa­tion du réseau rela­tion­nel. Pour la Société de Saint-Vincent-de-Paul, cette ques­tion du lien social est déci­sive, aussi bien avec les personnes accom­pa­gnées qu’avec tout l’éco­sys­tème qui œuvre à leurs côtés. 

João Maria André (2023), philo­sophe, avance que « nous ne sommes pas des substances auto­nomes, nous ne sommes pas des atomes dans l’uni­vers, nous sommes consti­tu­ti­ve­ment des fais­ceaux de rela­tions. C’est parce que nous sommes en rela­tions asymé­triques avec le monde, avec les autres et, parfois aussi, avec nous-mêmes, que nous sommes vulné­rables. » La vulné­ra­bi­lité fragi­lise le lien social, qui renforce à son tour la vulné­ra­bi­lité. C’est ce méca­nisme que les béné­voles de la Société de Saint-Vincent-de-Paul tentent d’en­rayer, jour après jour, autour d’eux.

C’est ce qui motive Clau­dine Florange, tréso­rière de l’équipe locale (Confé­rence) d’Ost­wald à côté de Stras­bourg (67), lorsqu’elle propose de petites évasions aux personnes accom­pa­gnées : « Ces personnes ne partent pas en vacances et connaissent peu de plai­sirs, alors, cette année, nous les avons emme­nées à l’éco­mu­sée d’Un­ger­sheim, qui valo­rise le patri­moine alsa­cien. Cela permet aussi de les décou­vrir dans un autre contexte que celui de l’aide alimen­taire. » À Lamber­sart (59), c’est à la plage qu’on se rend chaque été : « Pour les personnes accom­pa­gnées, c’est le grand voyage !, décrit Anne Henry. Cela crée du lien entre elles et avec nous. Certains réservent dix places pour emme­ner famille et amis. Ils sont fiers d’of­frir une sortie à leurs enfants ! »

Mutua­li­ser plutôt que juxta­po­ser

Loca­le­ment, les équipes locales (Confé­rences) colla­borent entre elles et avec d’autres asso­cia­tions comme Aux captifs la libé­ra­tion ou l’Ordre de Malte Fance (OMF). Thibaut Hirschauer, direc­teur des délé­ga­tions, de la soli­da­rité et du secou­risme de l’OMF, estime que la mission d’une asso­cia­tion consiste à faire des allers-retours constants entre la compré­hen­sion des publics aidés et la coopé­ra­tion avec les autres acteurs : « On analyse d’abord la pauvreté : s’agit-il de préca­rité visible – SDF, migrants – ou cachée : ceux qui ont un toit mais n’ont plus les moyens de se nour­rir ou se soigner ? C’est diffé­rent d’abor­der un migrant, un SDF, une mère isolée… notre action doit s’adap­ter à chacun. » Une grande part de l’ac­tion consiste donc à débusquer la préca­rité où qu’elle se trouve, visible ou invi­sible, au fin fond des campagnes comme dans le tumulte des villes. Ensuite, il faut agir en syner­gie avec les autres : préfec­tures, CCAS, assis­tantes sociales, paroisses, hôpi­taux, EHPAD, asso­cia­tions, commer­ces… « On cherche à savoir qui fait quoi, pour propo­ser une action complé­men­taire. À Mantes-la-Ville (78), la Société de Saint-Vincent-de-Paul fait du social et nous l’épi­ce­rie, alors qu’à Bordeaux (33) l’équipe locale propose un accueil de jour et l’Ordre de Malte du soin. » L’enjeu : mutua­li­ser plutôt que juxta­po­ser. À Voiron (38), Mireille Pillot estime qu’« être présent, tout simple­ment », c’est aussi « avoir une place sociale, être iden­ti­fié par la mairie, le CCAS… aider ceux qui aident. On ne reste pas chacun dans sa bulle, on s’en­traide. » À Wissem­bourg (67), ce mode colla­bo­ra­tif porte ses fruits : Pascale Smolenski, du CCAS, souligne que « nous rece­vons les mêmes personnes. Charles (de Marolles, président local, NDLR) leur four­nit des bons d’achat pour les urgences, alors que nous devons attendre le passage de leur dossier en commis­sion, une fois par mois. » L’équipe locale distri­bue 1 500 bons de 15 euros par an. 

Être présent, tout simplement, c’est avoir une place sociale, être identifié par la mairie, le CCAS… aider ceux qui aident.

Sortie à l'écomusée d'Alsace à Ungersheim (68) avec l'équipe locale d'Ostwald (67)

L’exer­cice d’une sensi­bi­lité

L’aide maté­rielle est essen­tielle, mais d’autres formes d’at­ten­tion le sont aussi. À Toulouse (31), des étudiants et des jeunes actifs parti­cipent à des maraudes hebdo­ma­daires. Les distri­bu­tions sont un prétexte. L’objec­tif : créer du lien avec les personnes à la rue. « On s’ar­rête le temps qu’il faut, que ce soient trois ou quarante minutes, affirme Antoine Izard, respon­sable des maraudes. Certains se confient, d’autres ont besoin d’une présence, d’autres sont en colère et on peut servir de défou­loir pour un stress qui avait besoin d’être expri­mé… On essaie du mieux qu’on le peut d’être dans un lien de charité, c’est-à-dire de donner ce qu’il faut donner, et ça n’est pas nous qui choi­sis­sons. » C’est cela, sans doute, la solli­ci­tude, que le socio­logue Luca Patta­roni (2002) défi­nit comme la capa­cité de « se mettre à l’écoute de l’autre afin de le recon­naître dans la singu­la­rité de son besoin. Il s’agit là de l’exer­cice d’une sensi­bi­lité. » Pour l’avo­cate Anina Ciuciu, issue de la commu­nauté rom, cette qualité permet d’amor­cer avec les publics accom­pa­gnés un chemin vers l’éman­ci­pa­tion. La solli­ci­tude, c’est aussi faire confiance à son intui­tion, comme Annie Schenck, à Vernon (27), qui offre du récon­fort par de petits gestes et des atten­tions parti­cu­lières portées à chacune des personnes visi­tées : « Depuis 14 ans, je rends visite à des personnes en EHPAD. Elles appré­cient d’une façon extra­or­di­naire ! »

Une famille univer­selle

Ces exemples évoquent la « réso­nance » telle que défi­nie par le philo­sophe Hart­mut Rosa dans une inter­view à La Croix (2018) : « La réso­nance est un mode de rela­tion où peut se déployer un lien entre moi et quelque chose qui m’est exté­rieur : mon corps, mon esprit, la nature, les autres… C’est une manière non agres­sive d’être au monde : quelque chose vient vers moi, me touche et me trans­forme. » Cette trans­for­ma­tion s’in­carne à Voiron (38), lors du repas partagé mensuel. « On croise toutes sortes de personnes, décrit Hubert Sallé, respon­sable commu­ni­ca­tion du Conseil dépar­te­men­tal : des béné­voles vincen­tiens, des parois­siens, des dona­teurs, des personnes en préca­rité finan­cière, un homme vivant dans sa voiture, un ancien reli­gieux logeant dans une cabane, des familles étran­gères avec leurs enfants… Il y a aussi des personnes très seules, venues cher­cher un peu de compa­gnie. Chacun apporte ce qu’il peut. Ce n’est pas la quan­tité qui compte, mais le geste. On partage le repas, le café, puis tout le monde aide à faire la vais­selle et à ranger. » Ces moments parta­gés offrent plus qu’un simple repas : un instant de dignité retrou­vée, d’ap­par­te­nance et de recon­nais­sance. Comme l’écri­vait le pape François dans Laudato si’ (2015) : « Créés par le même Père, nous et tous les êtres de l’uni­vers sommes unis par des liens invi­sibles, et formons une sorte de famille univer­selle, une commu­nion sublime qui nous pousse à un respect sacré, tendre et humble. »  

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